Dans le couloir de la vie, reportage dans le service de rééducation post-réanimation

Au rez-de-jardin de l’hôpital Pierre Wertheimer, une dizaine de patients réapprennent les gestes élémentaires du quotidien grâce aux équipes pluridisciplinaires du service de rééducation post-réanimation (SRPR). Une unité hautement spécialisée de médecine physique et de réadaptation comme il en existe peu en France.

C’est un long couloir débordant de vie qui dessert quinze chambres médicalisées aux murs tapissés de photos et de témoignages d’amour. Premier service de rééducation post-réanimation de France, le SRPR de Lyon, créé en 1980 à l’hôpital Henry Gabrielle est, depuis 1993, installé à l’hôpital neurologique Pierre Wertheimer, pour se rapprocher de la réanimation et des plateaux techniques. « Le SRPR est le maillon entre la réanimation et un service de rééducation classique », explique le Pr Jacques Luauté, chef du service de médecine physique et de réadaptation neurologique à Henry Gabrielle. « Nous accueillons des patients cérébrolésés en éveil de coma, des patients tétraplégiques ou paraplégiques hauts, des polytraumatisés graves. » Soit une cinquantaine de patients par an pour ce service singulier (dix-neuf en France dont deux en Auvergne Rhône-Alpes).

C’est dans cette unité hautement spécialisée que Johann, Bertrand, Anthéa, Alexis, Clarisse* et cinq autres patients se reconstruisent et se réautonomisent, depuis quelques mois ou quelques semaines. Ils sont arrivés ici, parfois après plusieurs mois de réanimation, épuisés, éprouvés physiquement et psychologiquement, avec tout à réapprendre : respirer seuls pour ceux qui ont été trachéotomisés, déglutir, s’alimenter, parler, se réapproprier son corps et son image, redécouvrir les gestes du quotidien, se souvenir du jour où tout a basculé… Pour le moment, Clarisse, victime d’un accident de quad pendant ses vacances, n’y arrive pas. Dans sa chambre où le soleil entre à flots, Laurine, la psychologue du service, la questionne avec douceur mais rien n’y fait. Elle se souvient juste qu’elle doit passer une mammographie et semble inquiète. « Je suis là pour aborder vos inquiétudes », la rassure Laurine avant de quitter la chambre non sans avoir vérifié que la sonnette est bien accessible et la télévision allumée. « Nos patients ont un niveau de dépendance physique et psychique élevé, nous devons constamment veiller à ce qu’ils ne manquent de rien. » 

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Un SAS "cocooning" pour se reconstruire

Après le bruit et les inquiétudes de la réanimation, ils retrouvent dans ce couloir de l’intimité et une vraie chambre qu’ils peuvent décorer à leur goût. Attrape-rêve, bouquet de roses fraîches, plantes vertes, écharpe de l’Asse (AS Saint-Étienne, NDLR), boa rose, mots doux de proches sur les immenses tableaux blancs, parquet au sol, couleurs pastel aux murs, les chambres ne respectent pas tout à fait les codes de l’hôpital si ce n’est la présence de scopes, renvoi d’alarme, ventilation non invasive, systèmes anti-fugue… pour accueillir des patients en situation de sevrage ventilatoire, long et difficile, et dont la plupart vont rester de longues semaines avant un retour à domicile ou dans une structure adaptée pour quelques-uns ou un séjour dans un service de SSR (soins de suite et de réadaptation) pour la majorité.

C’est le cas de Johan. Âgé de 19 ans, le jeune homme revient d’une séance de rééducation dans le gymnase attenant au service, au cours de laquelle Marion, ergothérapeute, a dû user tour à tour de fermeté et de patience pour obtenir sa coopération. Hospitalisé depuis novembre après un séjour de six mois en réanimation, il est visiblement contrarié à l’idée de sortir demain. « Johan devait aller à l’hôpital Henry Gabrielle », nous explique-t-elle, « mais par manque de places, il va être dirigé vers un centre à Hauteville-Lompnes, dans l’Ain. » 

Filière d’aval quasi unique, l’hôpital Henry Gabrielle ne peut absorber la demande. Conséquence : régulièrement, des patients sont en impasse de sortie sur le PAM de rééducation. Mêmes difficultés en amont avec en moyenne six patients de réanimation en attente d’une place au SRPR chaque semaine. « Par manque de structures d’accueil, les décisions éthiques prennent de plus en plus en considération les possibilités d’aval », constate le Pr Luauté. Une situation qui devrait s’améliorer avec le projet d’ouverture de cinq lits supplémentaires au SRPR (et la réouverture des cinq lits actuellement fermés pour cause de congés maternité d’infirmières) et les recherches de nouvelles solutions, en partenariat avec les FAM (foyers d’accueil médicalisés) et les MAS (maisons d’accueil spécialisées), pour les patients requérant des soins techniques à leur sortie.

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Un service tourné vers la vie

Dans ce service où l’état des patients, souffrant de déficiences neurologiques graves (vigilance, troubles cognitifs, moteurs, sensoriels, déglutition…), nécessite une surveillance médicale importante, la présence médicale et paramédicale est renforcée avec, en permanence, un médecin sénior, un interne, un infirmier, un aide-soignant pour six malades, des kinésithérapeutes, une orthophoniste, une ergothérapeute, une psychologue, une diététicienne et une assistance sociale. « Nous disposons d’une équipe pluridisciplinaire dotée d’une forte expertise technique, capable de prendre en charge les trachéotomies et les gastrostomies », souligne Claire Barnay, cadre de santé. Une approche technique mais aussi holistique avec un objectif : revivre après la réanimation et non pas seulement survivre. « Notre rôle consiste à les aider à construire une nouvelle vie adaptée à leur situation actuelle », résume Blanca, toute jeune interne du service. « Notre travail est aussi tourné vers la recherche pour permettre à tous les patients qui nous sont confiés de bénéficier des dernières avancées de la science », complète le Pr Luauté.

À pied d’œuvre depuis sept heures ce matin, Naël, Morgane, Samia, Sandra, aide-soignants, ont soigné, habillé, coiffé voire maquillé les patients, même s’ils ne quittent pas leur chambre. « Restaurer l’apparence esthétique fait partie de la guérison », sourit Claire Barnay, cadre de santé à l’énergie communicative. « Nous sommes clairement du côté de la vie. » Une nouvelle vie que n’arrive pas à accepter Bertrand, cavalier émérite doté d’un sens de l’humour certain, qui espère redevenir comme avant la chute qui l’a laissé tétraplégique haut. Ni Alexis atteint d’une forme de locked-in syndrome, qui ne progresse pas assez vite à son goût.

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Un a priori positif

« La cicatrisation du cerveau nécessite du temps et la toilette, comme chaque soin prodigué, est l’occasion de gagner en autonomie », souligne la psychologue. De l’autonomie, Anthéa, 19 ans, blessée médullaire, en a regagné depuis son accident en août 2022. Tout sourire, assise sur son lit, les ongles manucurés et vêtue d’un manteau à imprimé dalmatien, elle plaisante avec les infirmières et aides-soignantes qui l’installent dans son fauteuil. Dans le couloir, son parrain, avec lequel elle déjeune, patiente. Comme tous les proches de ces accidentés de la vie, il a dû cheminer pour accepter de ne pas retrouver sa nièce « d’avant ». L’accompagnement des familles fait d’ailleurs partie de la prise en charge des patients et elles sont pleinement associées à la rééducation pluridisciplinaire avec des visites facilitées. « Nous recevons des patients dont nous ne savons rien et qui sont souvent non parlants », rappelle Claire Barnay. « Nous avons besoin des familles pour bien les connaître, planifier le projet de soins et parfois instaurer un code de communication. » Dans ce service où le pathos n’a pas sa place, chacun raisonne avec ce qui continue à fonctionner et cultive un a priori positif. Une belle leçon de vie.

* Tous les prénoms ont été modifiés.

Dernière mise à jour le : ven 23/06/2023 - 09:55
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