La vie devant soi d’Anukâ

Après une seule et unique injection du médicament le plus cher du monde, une nouvelle vie est désormais possible pour Anukâ.

« Je sentais qu’il y avait quelque chose de grave mais j’espérais me tromper », confie Nino, la mère d’Anukâ. « Á neuf mois, Anukâ bougeait peu, n’arrivait pas à se tenir assise et à se mettre debout. En comparaison avec son frère au même âge, il y avait une grande différence dans les mouvements. » 

À l’été 2021, elle et son mari décident de consulter un neuropédiatre. Ils sont alors en vacances en Géorgie, leur pays natal. Le spécialiste leur conseille de poursuivre les examens en France, où le couple s’est installé depuis une dizaine d’années.

Elle a fait six ans de médecine, et vient d’obtenir sa licence en histoire de l’art. Lui travaille dans une société de transports. L’angoisse étreint les parents quand le diagnostic tombe : Anukâ est atteinte d’une amyotrophie spinale. « J’étais terrifiée. Je n’avais aucun espoir. J’avais appris pendant mes études de médecine qu’aucun traitement n’existait », dit-elle.

L’amyotrophie spinale est une maladie génétique rare dont l’incidence touche un enfant sur 12 000 naissances. En France, on compte environ 120 nouveaux cas par an, soit environ 2 500 malades, tous types confondus (I, II, III ou IV). Elle peut se déclarer à tous les âges, mais apparaît plus souvent dans l’enfance. Elle touche aussi bien les filles que les garçons. 

Elle est due à l’altération ou à l’absence du gène SMN1 qui n’est plus capable de donner les bonnes informations pour produire une protéine appelée SMN (protéine de « survie du motoneurone »). La déficience de cette protéine entraîne une mort prématurée des motoneurones, ou neurones moteurs, qui ne transmettent plus les ordres de mouvement entre la moelle épinière et les muscles. Ces derniers deviennent inactifs, s’affaiblissent et s’atrophient. 

La faiblesse musculaire est sévère et progressive dans les six premiers mois de la vie, et s’accompagne par des difficultés à déglutir et des troubles respiratoires. Sans traitement, la majorité (95%) des patients atteints d’une ASI (amyotrophie spinale infantile) de type 1 décède dans les deux premières années de vie en raison d'une insuffisance respiratoire. 

Après la terreur, le bonheur

Une semaine seulement après l’annonce du diagnostic, les résultats des examens effectués par le service de neurologie pédiatrique à l’hôpital Femme Mère Enfant (HFME) vont, pourtant, représenter cet espoir qui faisait défaut. De retour à l’hôpital, les parents se voient proposer pour leur enfant une nouvelle thérapie. « J’avais fait des recherches sur internet. Jamais je n’aurais pu imaginer qu’Anukâ allait pouvoir bénéficier de ce traitement. C’était un vrai miracle ! » Ce traitement, on le doit à la thérapie génique. 

Le Zolgensma, produit par Novartis, apporte le gène de la protéine déficitaire impliquée dans la survie du motoneurone via un vecteur viral qui, en pénétrant les cellules nerveuses du patient, va éviter la mort des motoneurones non détruits. Son coût aux États-Unis, où il est fabriqué et autorisé depuis 2019, est de 2 millions de dollars l’injection. Les essais cliniques chez les jeunes patients ont montré un taux très élevé de survie au-delà de 2 ans et une amélioration de la fonction motrice.

« L’injection dure une heure trente environ », relate Nino. « Anukâ est restée hospitalisée pendant une quinzaine de jours. Tout ne s’est pas bien passé. La voie veineuse s’est infectée, une deuxième a dû être posée. Anukâ s’est affaiblie. J’étais à ses côtés jour et nuit, elle souffrait beaucoup. »

Un mois après l’injection, le soulagement est immense quand les parents constatent les premiers effets positifs du médicament. 

Des progrès spectaculaires

Chaque semaine, Anukâ voit un kinésithérapeute à son domicile. Deux fois par mois, elle est prise en charge à l’Escale, le service de médecine physique et de réadaptation pédiatrique de l’hôpital Femme Mère Enfant. Unique en Auvergne-Rhône-Alpes, ce service reçoit les enfants en hôpital de jour. Médecin, ergothérapeute, kinésithérapeute, psychomotricien, orthophoniste, infirmière, psychologue, assistante sociale etc., assurent un suivi multidisciplinaire. 

C’est dans ce service que sont promues les nouvelles thérapeutiques. Actuellement, 33 enfants y sont suivis dont trois ayant bénéficié du Zolgensma. « Les progrès sont spectaculaires », se réjouit Nino. « Elle tient plus longtemps assise, elle bouge les membres inférieurs, se retourne, et quand elle entend de la musique, ses pieds remuent ! »

Avant l’arrivée des nouvelles thérapies, les patients de type 1 ne parvenaient pas à s'asseoir sans être aidés. Pour Anukâ, l’espoir est plus fort que jamais : « On ne peut espérer qu’elle aille de mieux en mieux », achève sa maman.

 

Le dépistage néonatal en question

Le Zolgensma s’adresse principalement en France aux nourrissons et jeunes enfants atteints de formes sévères d’ASI (I et II). Le médecin qui va constater la maladie doit faire une demande auprès des autorités de santé qui vont regarder les conditions d’éligibilité du patient. Une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) est organisée par la Filière nationale des maladies rares neuromusculaires (Filnemus), dont l’Escale est centre de référence des maladies neuromusculaires pour Lyon. La décision est donc collégiale et se fait au cas par cas en tenant compte de la situation de chaque enfant et de l’avis de ses parents. La prescription du Zolgensma (avis de la Haute autorité de santé du 16 décembre 2020) se fait dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). « Le traitement ne guérit pas la maladie quand il est donné après le début des symptômes mais il permet de prolonger la vie et de stabiliser l’évolution de la maladie pour permettre aux enfants de refaire des progrès. Dans ces conditions, et malgré le coût de l’injection, nous nous devons de faire bénéficier nos patients de ces nouvelles thérapies », indique la Pr Carole Vuillerot, responsable de l’Escale et du centre de référence des maladies neuromusculaires des Hospices Civils de Lyon. 

L’enjeu désormais est de pouvoir proposer un dépistage néonatal. Les études ont montré qu’un dépistage néonatal, avant l’apparition des symptômes, améliore le bénéfice thérapeutique des enfants atteints d’amyotrophie spinale. De nombreux programmes de dépistage en Europe, aux États-Unis et ailleurs, ont été mis en place. En Belgique, un programme de dépistage néonatal s’est déroulé entre mars 2018 et février 2021 dans le sud du pays. Ce programme a permis de diagnostiquer la maladie chez 9 nourrissons qui ont ainsi pu recevoir un traitement. Aujourd’hui ce programme de dépistage néonatal de l’amyotrophie spinale infantile est devenu officiel dans le sud de la Belgique, et devrait s’étendre en 2022 dans le nord du pays.

En France, la filière Filnemus, l’AFM-Téléthon, le CHU de Strasbourg et le CHU de Bordeaux se sont associés pour proposer un projet pilote de dépistage néonatal de l’amyotrophie spinale dans les deux régions Grand Est et Nouvelle-Aquitaine. L’objectif du projet pilote Depisma est d’en démontrer la faisabilité pendant 2 ans avant de pouvoir proposer de l’étendre à l’ensemble de la France.

Dernière mise à jour le : mar 14/02/2023 - 17:36