Les HCL spécialistes du genre humain

Logé au deuxième étage du bâtiment 3C du centre hospitalier Lyon-Sud, le service d’urologie du Dr Morel-Journel accueille une personne sur cinq souhaitant changer de sexe. Cette expertise en chirurgie de réassignation de genre intervient au terme d’un parcours de soin long, difficile et encore jalonné d’entraves.

Florence est née à l’hôpital Lyon Sud le 24 janvier 2024. À 57 ans, au terme d’une opération de réassignation de genre qui aura duré 5 heures, elle s’est réveillée dans un corps de femme. Une opération spectaculaire réalisée par le docteur Nicolas Morel-Journel, chirurgien urologue dans le service d'urologie de l'hôpital Lyon Sud dont le service spécialisé en chirurgie urogénitale de reconstruction (1) est réputé au niveau européen avec environ 20 % de l’activité nationale de vaginoplastie, opération permettant de construire des parties génitales féminines, et de phalloplastie, intervention consistant à créer un pénis. 

Une chirurgie qui a fait sa transition 

« Aux HCL, la première phalloplastie a eu lieu en 1986, précise le Dr. Morel-Journel. À cette époque, le changement d’identité était compliqué avec un parcours de soins très rigide, des critères d’exclusion nombreux et la chirurgie considérée par certains comme une mutilation. »

En 1992, des menaces proférées contre des chirurgiens lors d’un congrès mettent un coup d’arrêt à l’activité et il faut attendre 2007 pour que cette chirurgie d’affirmation ou de réassignation de genre, longtemps restée tabou, redémarre doucement aux HCL. « Nous n’étions que quatre ou cinq chirurgiens à pratiquer ce type d’intervention en France et, n’ayant pas eu l’occasion de nous former pendant plus de dix ans, nos techniques n’étaient clairement pas au point. »

Depuis, le Dr. Morel-Journel parti se former au Canada a fait considérablement évoluer les techniques opératoires et son service est devenu la référence en matière de chirurgie d’affirmation de genre. Conséquence : aujourd’hui, les patients en quête d’une nouvelle identité affluent de la France entière et au-delà. « Nous réalisons chaque année environ 80 vaginoplasties et 20 phalloplasties », détaille le docteur Damien Carnicelli, chirurgien urologue du service également spécialiste en chirurgie de réassignation de genre. « Depuis quatre ans, nous avons en permanence 500 à 550 personnes sur liste d’attente, toutes chirurgies confondues (y compris les uretroplasties, la reconstruction urogenitale…) Pour une vaginoplastie ou une phalloplastie, aujourd’hui le délai d’attente est de trois à cinq ans. »
Car si la France compte désormais une trentaine de chirurgiens et une douzaine de centres habilités à pratiquer cette chirurgie, c’est encore trop peu pour faire face à l’explosion des demandes liée à l’évolution de la société sur les questions de genre et à l’assouplissement des critères pour intégrer un protocole. 

Ce n’est pas mon genre  

« La France, qui compte entre 20 000 et 60 000 personnes transgenres, a été le premier pays au monde a retirer la transidentité des affections psychiatrique mais il a fallu encore attendre 2018 pour que l’OMS la sorte à son tour de sa liste de maladies mentales », rappelle le Dr. Morel-Journel qui a beaucoup œuvré, en lien étroit avec les associations scientifiques, de patients et de personnes trans, pour faire évoluer les critères de prise en charge des patients. Et si, de fait, l’évaluation psychiatrique n’est plus obligatoire dans le processus de la réassignation sexuelle hormono-chirurgicale, elle est encore parfois demandée pour débuter une thérapie hormonale. Quand ce ne sont pas les patients qui en ressentent le besoin.  

« Même si je savais que la transidentité était dépsychiatrisée et que j’avais la conviction profonde que mon corps d’homme était une erreur d’aiguillage, j’ai souhaité voir un psychiatre », raconte Florence qui a débuté officiellement sa transition en avril 2020, à 53 ans, en choisissant un prénom féminin. « Je savais que je m’engageais dans un parcours long et psychologiquement complexe. Avant d’entamer l’hormonothérapie, j’avais besoin de m’assurer que cette dysmorphie de genre ne cachait pas autre chose. Ce qu’il m’a confirmé. C’était important pour moi et pour ma famille d’avoir cette caution médicale. »
Le 9 septembre de la même année, elle commence, toujours à Paris où elle vit, le traitement hormonal de féminisation et deux mois après, prend contact avec les HCL et le Dr. Morel-Journel considéré comme le meilleur « et le plus humain » dans le milieu trans. La date de l’opération est fixée au 24 janvier… 2024.
Entre temps, en juillet 2023, toujours à Lyon, elle subit une opération de féminisation du visage. Abaissement de la ligne capillaire, réduction des arcades sourcilières, rhinoplastie, rehaussement des lèvres et des sourcils, réduction du menton, augmentation mammaire… pendant 5h30, les docteurs Adélaïde Carlier, chirurgienne maxillo-facial et Fabien Boucher, expert en chirurgie plastique reconstructrice et esthétique l’opèrent en simultanée. Des opérations qui pour certaines (rhinoplastie, labioplastie, chirurgie mammaire) sont prises en charge par la Sécurité sociale dans le cadre d’une ALD pour transidentité*.
Avant la grande transformation, également prise en charge**, Florence a aussi choisi de se faire accompagner par une sage-femme sexologue. « Cette période intermédiaire durant laquelle le corps se féminise tout en gardant des attributs masculins est délicate », confesse Florence dont le couple a chaviré pendant son parcours de transition.

Un accompagnement pluridisciplinaire 

« Souvent initié par le médecin traitant ou un psychiatre, un parcours de transition est très individualisé en fonction des attentes et du stade de réflexion de la personne concernée, observe le Dr Carnicelli. C’est pour cela que nous proposons une prise en charge pluridisciplinaire, et que nous collaborons avec les services d’endocrinologie, de chirurgie, de même qu’avec d’autres spécialités comme la phoniatrie, la médecine de l’adolescent, la gynécologie ou encore la pédopsychiatrie. » Car le service qui accueille aussi des mineurs, adolescents ou post-adolescents (2), dispose d’une équipe dédiée et a développé des groupes de parole et d’échange pour les familles. Ainsi, certaines personnes passeront uniquement par un traitement hormonal (testostérone pour les hommes trans, œstrogènes et anti-androgènes pour les femmes trans), quand d’autres entameront une chirurgie après cette première étape.
« Il n’y a aucune obligation médicale ou chirurgicale. Chaque patient est libre de faire son choix, mais si les patients optent pour une chirurgie génitale d’affirmation de genre, nous sommes là pour les aider à avoir un sexe plus congruent avec leur genre », renchérit le Dr Morel-Journel qui rappelle que le taux de suicides et de dépression chez les personnes trans est 25 à 30 fois supérieur à celui de la population générale.

« Faire une transition, c’est beaucoup de souffrances et de sacrifices, avec une stigmatisation sociale importante, insiste le docteur Morel-Journel. C’est notre rôle de soignants de les accompagner vers un mieux-être. » 

Même discours du côté des Dr Fabien Boucher et Adélaïde Carlier, chirurgiens plasticiens qui participent aux réunions pluridisciplinaires visant à valider les parcours de transition.  « Nous n’avons jamais de réponse toute faite mais faisons du cas par cas selon la demande du patient. Nous intervenons en général après la réassignation hormonale, sur les parties du visage peu sensibles à l’hormonothérapie, détaille le Dr Boucher. C’est pour cela que nous faisons davantage de gestes de féminisation sur la structure osseuse du visage (bosses frontales, angle de la mâchoire, nez, pomme d’adam…), la testostérone ayant une action efficace sur la peau et la pilosité. »

Devenir celle que je suis 

C’est le cas pour Florence qui, ce matin de janvier, quatre ans après avoir débuté son parcours, va bénéficier d’une vaginoplastie.

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Le 24 janvier 2024 : au bloc opératoire, Dr. Morel-Journel et son équipe réalisent la vaginoplastie de Florence.

 

Une chirurgie réalisée par le Dr. Morel-Journel et un urologue de Toulouse venu se former à la technique sous l’œil attentif d’un jeune médecin italien. À 9h05, la playlist pop est lancée et la première incision pratiquée. L’opération qui durera 5 heures, se déroule en cinq étapes : ablation des organes génitaux masculins et de la peau du scrotum, création d’une cavité vaginale, transformation du gland en clitoris et raccourcissement de l’urètre, construction d’une cavité vaginale de 15 cm de profondeur dont les parois sont tapissées d’un lambeau de peau du scrotum, création des petites et grandes lèvres à partir du prépuce… globalement tout est utilisée sauf  « Nous veillons à obtenir un résultat esthétique, mais l’aspect fonctionnel est très important, il faut prendre le temps de bien faire les choses », explique le chirurgien tandis qu’il ajuste l’impressionnant pansement. Au terme de trois à quatre mois de soins internes de dilatation nécessaires pour conserver une cavité vaginale, le nouveau vagin est cicatrisé et les rapports pénétrants seront possibles.  

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Dr. Morel-Journel, chirurgien urologue à l’hôpital Lyon Sud

 

Florence, rencontrée une semaine après son opération, se remet doucement de son opération, heureuse d’être enfin devenue celle qu’elle était.

 


(1) Le service est Centre de référence national pour la reconstruction urogénitale.   

(2) Si la chirurgie génitale chez les mineurs n’est pas autorisée, les études et recommandations conseillent une prise en charge proactive de ces jeunes sur le plan pédopsychiatrique et endocrinologique.

 

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Dernière mise à jour le : dim 21/04/2024 - 18:58
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Trans, de quoi parle-t-on ?
Une personne transgenre, ou « trans », s’identifie à un genre différent de celui correspondant à son sexe biologique de naissance. Nommée « incongruence de genre », et pouvant émerger dès la petite enfance, cette dissonance peut induire une souffrance psychique appelée « dysphorie de genre ». Laquelle peut amener à un parcours de transition sociale (fait de vivre dans son environnement dans un genre social autre que son genre de naissance), administrative (modification ru nom, prénom et genre à l’État civil) et médicale (modification de l’apparence pour qu’elle soit cohérente avec le genre auquel on se sent appartenir). 

Découvrez le témoignage de Florence recueilli après son intervention chirurgicale.