« Le partenariat patient est un autre chemin vers l’apaisement », Nathalie Enjolras, pair-aidante en addictologie

En trois ans, Nathalie Enjolras a réussi à convertir son expérience en des compétences qui soutiennent les familles confrontées à l’addiction d’un proche.

En avril 2021, le dispositif Bref était lancé aux Hospices Civils de Lyon. Cet accompagnement a été conçu pour venir en aide à l’entourage proche d’une personne atteinte de trouble d’usage liée à une substance ou un comportement. C’est avec les patients partenaires et les familles que l’expérience a pu se construire et s’affiner. À tel point qu’aujourd’hui, trois ans après les premières séances, sa méthodologie est enseignée aux professionnels de santé investis en addictologie au-delà même des frontières de l’hôpital. 

Tout a commencé avec l’équipe du CSAPA (1), à l’hôpital Edouard Herriot. Sous l’impulsion de la docteure Aurélie Berger-Vergiat, une équipe s’est constituée, s’inspirant d’une méthode éprouvée par les psychiatres du centre hospitalier du Vinatier, à Bron. De quoi s’agit-il ? Un binôme (médecin, infirmier, psychologue ou pair-aidant) accueille un ou plusieurs membres d’une même famille touchée par l’addiction d’un proche. Trois séances d’une heure et demi sont planifiées. 

Des cartes sont présentées aux membres de la famille, donnant lieu à des interprétations qui vont libérer la parole. Chacun s’exprime, partage sa propre expérience de l’addiction et de son retentissement dans la vie quotidienne.

« Les cartes sélectionnées permettent d’identifier des problématiques sous-jacentes qui n’étaient souvent pas verbalisées », explique Nathalie Enjolras, la patiente partenaire au cœur du dispositif. 

Les cartes ne font pas que libérer la parole, elles permettent également de se situer en tant qu’aidant, de rompre l’isolement social, de faire réfléchir sur son positionnement. De plus, « Les proches vont pouvoir mieux comprendre la personne portant une pathologie addictive et voir la maladie de l’intérieur », précise la patiente partenaire. Cette possibilité donnée de voir à travers les yeux de la personne en souffrance la réalité qui l’entoure, son vécu, son expérience est essentielle. Elle ouvre la voie à la compréhension et à l’acceptation d’une situation qui peut engendrer un sentiment d’impuissance, voire des moments paroxystiques dans lesquels la violence est susceptible de surgir à tout moment. 

Une patiente partenaire du soin 

Présente dès la première séance qui s’est déroulée en avril 2021, la patiente partenaire joue un rôle à part entière dans le dispositif. Son intervention est d’autant plus fondée que des études ont démontré que la prise en charge des aidants participe à l’amélioration de l’état de santé du proche malade. Car, elle aussi, a connu le combat contre ses troubles qui engagent le corps et l’esprit. D’ailleurs, elle ne se dit pas « guérie » mais « rétablie », s’inscrivant par là même dans cette approche de la psychiatrie qui vise non plus exclusivement l’abstinence ou la mise à distance mais, avant tout, le rétablissement d’une qualité de vie dans la société.   

Après ces trois années d’expérience, Nathalie Enjolras est désormais une membre à part entière de l’équipe soignante. Son investissement et ses compétences ont été pleinement reconnus. Ainsi confortée dans son poste et confirmée dans la qualité de ses interventions, sa participation améliore d’autant plus le dispositif et l’accompagnement des proches.  

Une évaluation clinique utilisant des questionnaires à remplir avant et après le programme est menée actuellement pour connaître objectivement l’impact du dispositif sur les proches et le parcours du patient suivi. Et, depuis 2022, une action de formation est conduite, cette fois-ci à l’attention des professionnels de santé, qu’ils soient hospitaliers, travaillant dans un centre social ou médico-social, ou libéraux. Là encore, la patiente partenaire y est associée. 

De la formation au parcours du malade 

« La formation est subventionnée et dure une journée », informe-t-elle. Elle se déroule dans le centre hospitalier du Vinatier, à Bron. Il s’agit d’expliquer l’importance d’accompagner les proches aidants.

« L’addiction est encore trop souvent stigmatisée. Les proches n’osent pas chercher de l’aide, ou alors, ne savent pas à qui s’adresser. Sensibiliser les professionnels de l’intérêt de s’adresser aux aidants améliore le parcours du proche malade. »

La formation propose des jeux de rôle, faisant rejouer le dispositif avec les images qui permettent de témoigner de l’hétérogénéité des situations vécues. Lors des deux journées de formation, environ 35 participants par session ont été formés, médecins, soignants, internes, psychologues, cadres de santé, secrétaires médicales, etc. Cette année 2024, une nouvelle session de formation est planifiée. Dans ce cadre, Nathalie intervient aux côtés du docteur Romain Rey, psychiatre à l’initiative des programmes Bref, d’une neuropsychologue et d’une infirmière. 

Cette énième fonction confirme un peu plus encore sa volonté de venir en aide, de faire progresser le soin en addictologie, de donner du sens à sa vie, une vie toujours « vigilante », pour reprendre ses mots. « Les troubles d’usage sont liées aux émotions et à la capacité à les gérer et la vie n’est pas un long fleuve tranquille. En tant que patiente partenaire en addictologie, il nous est demandé d’être un « bon élève », d’être rétabli. Ce qui est mon cas. » Un espoir pour ces familles et proches en quête de solutions, de reconnaissance et d’apaisement.  

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Nathalie Enjolras, pair-aidante en addictologie
Nathalie Enjolras, pair-aidante en addictologie

(1) Devenu depuis le service universitaire d’addictologie de Lyon (Sual), dirigé par le professeur Benjamin Rolland et la docteure Delphine Ragonnet, adjointe. 

Dernière mise à jour le : lun 19/02/2024 - 09:40