Au cœur d'un laboratoire de poche(s)

Aux HCL, un discret laboratoire joue un rôle essentiel auprès de quelque 150 patients dans l’incapacité de s’alimenter normalement. C’est en effet à la pharmacie à usage intérieur dans cette petite unité située au sous-sol de l’hôpital Louis Pradel, que sont fabriquées les poches de nutrition parentérale qui leur sont destinées. Une activité de niche complexe, méconnue et vitale.

Son repas tient dans la poche. Esther*, trois ans, hospitalisée dans le service de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique de l’hôpital Femme Mère Enfant, vient de recevoir une poche de nutrition parentérale** en guise de dîner. Mais aussi de petit-déjeuner, de déjeuner et de goûter.
Contenu dans une poche translucide, le mélange nutritif sur mesure lui sera administré, pendant 24 heures, via un cathéter placé dans une de ses veines. Syndromes de grêles courts post-chirurgicaux ou congénitaux, suites de transplantations hépatiques, diarrhées génétiques... pour des raisons diverses, les cellules intestinales de ces enfants sont défaillantes, empêchant une absorption correcte des nutriments. « Certains mangent de petites quantités d’aliments, essentielles pour garder le plaisir et l’oralité mais insuffisantes sur le plan nutritif, d’autres sont nourris exclusivement par voie intraveineuse », détaille la docteure Marianne Fricaudet, pédiatre du service, qui compte quatre à huit patients alimentés grâce à ces poches. Ils ne sont pas les seuls. De grands prématurés et des adultes victimes d’accidents ou de cancers doivent également leur survie à ces poches de nutrition personnalisées.

Un marché de niche

Nécessitant une organisation lourde et complexe, leur fabrication très réglementée ne peut se concevoir que dans des conditions optimales de sécurité pour le patient.

Elle est réservée à 17 CHU en France, dont celui de Lyon labellisé adultes et enfants. Une tâche délicate confiée à la pharmacie à usage intérieur qui dispose, au sous-sol de l’hôpital Louis Pradel, de locaux spécifiques pour les préparations de médicaments stériles, de personnels formés et d’un système permettant d’assurer la qualité.

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Dans ce centre de production, une équipe d’une vingtaine de pharmaciens, techniciens de laboratoire, préparateurs en pharmacie, opérateurs/agents de maintenance, fait face à une demande en constante augmentation.

« Depuis 2012, nous enregistrons cinq à six patients de plus par an, ce qui nous oblige à sous-traiter une partie de la production », constate le docteur Thierry Quessada, pharmacien. « Quand il a été conçu en 2008, nous avions un objectif de 25 000 poches par an. Aujourd’hui nous en produisons 42 000 dont 33 400 sont destinées à des patients à domicile et le quart restant à des patients hospitalisés. »

Le point commun de ces patients ? Un état de santé fragile nécessitant un apport nutritionnel spécifique, que les poches de nutrition industrielles, fabriquées en grand nombre et majoritairement pour des adultes, ne peuvent leur apporter. « Notre spécificité est de fabriquer des poches à la carte pour un nombre restreint de patients à risque, soit 62 adultes et 55 enfants. Nous sommes clairement sur un marché de niche », résume-t-il.

Du sur-mesure au quotidien

La production des poches destinées aux patients hospitalisés se fait, au jour le jour, en fonction des prescriptions médicales qui arrivent au bureau de formulation dès 8h30. Marlène et Élise, respectivement pharmacienne assistante et interne en pharmacie, sont justement en train d’analyser les premières prescriptions, rédigées sur des documents informatisés préétablis, qu’elles traduisent en formulations grâce à un logiciel qui transforme des grammes et des millimoles, en millilitres de solutions à introduire dans les poches en fonction des concentrations des matières premières utilisées pour la fabrication.
« Les prescriptions sont individualisées et adaptées quotidiennement en fonction des paramètres cliniques et biologiques du malade », détaille Marlène. « Ainsi la prescription et donc la préparation d’aujourd’hui ne seront plus valables demain. »

Le doute n’étant pas permis dans ce service, tout renseignement incomplet ou anomalie fait l’objet d’une vérification auprès du médecin prescripteur. Après une ultime vérification, la formulation est validée, une étiquette imprimée et une feuille de fabrication éditée sous forme de fichier interprétable par un automate. Le tout est transmis à l’unité de fabrication dont on aperçoit les locaux derrière la vitre du bureau de formulation. Le bureau de formulation et sa fenêtre sur l'unité de fabrication.
 

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Dans la zone de production, les manipulateurs surveillent le niveau des flacons.

Une production sous atmosphère contrôlée

On y accède par un sas réservé au personnel, revêtu d’une tenue de protection stérile indispensable pour évoluer dans cette zone à atmosphère contrôlée (ZAC). Comme chaque jour en fin de matinée, l’aire de production est en pleine effervescence.

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« Nos patients très fragiles doivent souvent être nourris en continu. Nous devons livrer les poches hospitalières tous les jours à 16 heures », explique Manon Breniaux, pharmacienne. Pour les poches de nutrition destinées aux patients stables à domicile, dont la composition varie peu, le timing est moins serré car la production peut être planifiée.

Aujourd’hui, c’est Wioletta et Floriane qui réalisent les mélanges manuellement dans des cuves en acier inoxydable. Les solutions obtenues subissent une filtration stérilisante avant d’être introduites, sous pression d’azote, dans sept poches de quatre litres pour les sept jours de la semaine. Une opération qui dure 45 minutes par malade.

« Ces poches, livrées au domicile du patient ou sur son lieu de vacances, intègrent parfois des composés sensibles à l’oxydation qui nécessitent de les conserver à l’abri de la lumière », précise la pharmacienne. « Tout au long de la chaîne de fabrication, de transport et de stockage, nous devons veiller à ce que le mélange nutritif soit maintenu à une température constante voisine de + 4 °C. »

Dans la pièce voisine, les mêmes silhouettes bleues fabriquent chaque jour 18 à 30 poches miniatures (de 250 à 1 000 ml) pour des petits patients hospitalisés en néonatologie et en pédiatrie. Sagement alignés sous la hotte à flux d'air laminaire horizontal, 24 flacons renferment les ingrédients entrant dans la préparation des poches.
« Les mélanges pour nutrition parentérale perfusée par voie veineuse doivent impérativement être stériles », rappelle Manon Breniaux, tandis qu’Adriana et Audrey surveillent l’automate qui réalise le transfert en système clos des flacons vers la poche finale, avec précision. « Les préparations sont réalisées à partir de spécialités pharmaceutiques injectables et/ou de matières premières stériles prêtes à l’administration », poursuit-elle.
« On y trouve du glucose, des acides aminés, des lipides, des électrolytes comme le sodium, le potassium, le magnésium ou encore le calcium et le phosphore et des oligo-éléments. Les vitamines sont ajoutées manuellement à la seringue en quantité infime. » De 8h30 à 13 heures, dans les salles équipées d’automates de fabrication, les binômes de manipulateurs (préparateurs en pharmacie et pharmaciens) – en réalité essentiellement de manipulatrices – s’affairent avec précision et concentration.
« Ces mélanges peuvent poser des problèmes de stabilité et une erreur est vite arrivée », constate la pharmacienne, qui doit pouvoir déterminer si la prescription se trouve dans les limites normales ou non. D’où l'importance d’avoir un laboratoire de contrôle in situ.

Le patient au bout du fil

Situé entre le bureau de formulation et la chambre froide de stockage, ce laboratoire contrôle systématiquement les préparations. Effectués par Damien, technicien de laboratoire, les tests portent sur l'adéquation entre la prescription médicale et la production réalisée. « Je vérifie les matières premières utilisées, les concentrations, particulièrement celles des cinq composants les plus à risque, et l'identification des prélèvements ». Une mission qu’il prend très à cœur. « Je n’oublie jamais qu’il y a un patient au bout. » Le contrôle sera validé par la signature du pharmacien.

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Le technicien de laboratoire s'assure de l'adéquation entre la prescription médicale et la production réalisée.
Le technicien de laboratoire s'assure de l'adéquation entre la prescription médicale et la production réalisée.

 

Les dernières prescriptions sont parvenues, les automates arrêtés, les surfaces de travail traitées avec un nettoyant désinfectant et tous les contrôles réalisés. Il est 16 heures. Les poches sont emballées, puis stockées en chambre froide, prêtes à être acheminées. Si la fabrication des mélanges pour nutrition parentérale, apparue en France au tout début des années 1970, est une technique à risque, elle est parfaitement rodée. « Les avancées récentes concernent essentiellement la capacité à prendre en charge la dénutrition et les techniques pour fabriquer les poches », conclut le docteur Quessada. Permettant au docteur Fricaudet, à quelques bâtiments de là, de nourrir de jeunes patients, dont la vie est, temporairement ou définitivement, reliée à un fil.

 

* Le prénom a été changé.

** La nutrition parentérale est une préparation parentérale « Parenteralia », qui est définie par la pharmacopée européenne : « Les préparations parentérales sont des préparations stériles destinées à être injectées, perfusées ou implantées dans le corps humain [...]. »

 

Dernière mise à jour le : ven 23/06/2023 - 14:33