La PASS : pour que l’accès à la santé ne soit pas une impasse
« Guérir parfois. Soulager souvent. Écouter toujours. » Sur le mur du bureau médical de la Permanence d’accès aux soins de santé, nom de code PASS, ces quelques mots de Victor Hugo dessinent la médecine terriblement humaine exercée ici. Au rez-de-chaussée du pavillon K, à l’entrée de l’hôpital Edouard Herriot, la PASS généraliste se moque des frontières géographiques, de la barrière de la langue et des considérations politiques. « Nos patients sont en grande majorité des demandeurs d’asile, adultes ou mineurs de plus de seize ans, ou des personnes en situation irrégulière », précise la Dr Maude Berthier, médecin généraliste chargée de la coordination du service, reconnaissable à la fleur de tiaré ornant ses cheveux. « Notre mission principale consiste à leur offrir un accès aux soins et un accompagnement pour intégrer ou réintégrer un processus de santé commun. »
Un service de consultation
8h45, dans le hall impersonnel, une dizaine de personnes silencieuses patientent. Face à elles, médecin, infirmier, agent d’accueil et assistante sociale exposent succinctement le fonctionnement de la PASS en français, puis en anglais, ajoutant si nécessaire des bribes d’allemand, d’espagnol, ou de russe… en fonction du public, majoritairement non francophone. « Le matin, nous n’accueillons que les nouveaux patients, dans la limite de six, qui peuvent venir sans rendez-vous », explique la Dr Isabelle Schlienger, en charge des consultations du lundi. « Sauf cas particulier de report de rendez-vous, ceux qui sont déjà venus doivent prendre rendez-vous l’après-midi. Cela étant, si des mineurs, des femmes enceintes ou des personnes dont l’état de santé semble préoccupant n’ont pas eu de place en consultation, nous ferons une rapide évaluation et leur fixerons un rendez-vous pour un autre jour ou bien nous les aiguillerons vers les urgences. » Créatrice de la PASS, alors hébergée à l’Hôtel-Dieu, en 2000*, elle distribue ensuite les ordres de passage aux cinq personnes qui sont invitées à se diriger vers la salle d’attente. Aux autres, Thierry Mentigny, chargé de l’accueil depuis neuf ans, explique qu’ils peuvent revenir dès le lendemain « si possible à partir de 6h30 car nous prenons les gens dans l’ordre d’arrivée ». L’après-midi, il recevra les huit personnes qui ont pris rendez-vous pour une consultation de suivi. Et orientera ceux qui ne relèvent pas du service.
« Nous sommes un service de consultation, non d’urgence. Nous accueillons des personnes sans droits ou avec des droits sociaux incomplets. Nous n’avons donc pas vocation à prendre en charge les patients touristes, titulaires d’une carte européenne d’assurance maladie valide, ni des patients allophones avec droits », précise la Dr Maude Berthier, dont le carnet de rendez-vous affiche complet pour les trois semaines à venir.
Des soins et de l’accompagnement
Le premier patient, un homme présentant des lésions cutanées qui vient pour une consultation de contrôle, est examiné par la Dr Isabelle Schlienger et Coraline, l’interne arrivée ce matin, qui assurera une partie des consultations trois demi-journées par semaine. Suivront une jeune femme nigérienne enceinte, un homme d’origine arabique serrant dans sa main un courrier de son foyer, une jeune femme réservée aux traits asiatiques, qui ne parle qu’anglais, et une dernière, originaire d’Afrique subsaharienne, visiblement nerveuse et sans droits, venue pour un problème d’allergies… « Les consultations durent rarement moins de vingt minutes et plus souvent une heure », constate la Dr Schlienger, en essayant de remettre de l’ordre dans le dossier de la jeune femme enceinte, déjà passée par l’hôpital de Bourg-en-Bresse et par les urgences. « Beaucoup ont connu un parcours de santé erratique avant d’arriver à la PASS. À nous également de les remettre rapidement dans un parcours de santé commun. » C’est là qu’intervient Céline Masclet, l’une des trois assistantes sociales. « Nous voyons les patients qui ont besoin de soins complémentaires après les médecins, pour vérifier leur situation administrative par rapport à la sécurité sociale », explique-t-elle. « Beaucoup étant des demandeurs d’asile ou des personnes en situation irrégulière ne bénéficiant d’aucune couverture sociale, notre rôle est de faire les démarches pour qu’ils obtiennent l’aide médicale de l’État (AME) ou la Protection universelle maladie (PUMa), pour ceux qui travaillent ou résident en France de manière stable et régulière. » En attendant, jusqu’à l’ouverture de leurs droits, ils seront pris en charge par la PASS.
Comme Céline, Stéphanie Couvreur et Janisse Ouilibona œuvrent quotidiennement à trouver des solutions pour ne laisser personne sur le carreau. « Nous nous occupons de l’aspect social et de tout le reste, c’est-à-dire l’hébergement, la nourriture, la scolarisation des enfants… », sourit Céline. Une fois l’aspect administratif réglé ou en passe de l’être, c’est au tour des infirmiers, Christine De-Araujo et Bertrand Robelin, de prendre le relais. Outre les actes infirmiers nécessaires à la consultation, les soins infirmiers classiques, l’éducation thérapeutique pour s’assurer de la bonne observance des traitements, ou encore la coordination des parcours des femmes enceintes, ils organisent la suite de soins. « Nous prenons rendez-vous pour les patients et nous les préparons en vérifiant avec eux le trajet depuis leur lieu de vie, en leur expliquant comment faire les étiquettes, en programmant les interprètes… » Le tout avec un budget restreint.
Un travail d’équipe
« Nous recevons une enveloppe budgétaire de l’ARS sous la forme d’un financement d’une mission d’intérêt général », explique la Dr Berthier. « En 2019, nous avons accueilli plus de 1 037 patients, mais nous avons réalisé plus de 2 771 consultations médicales. Là où le bât blesse, c’est qu’ils arrivent au terme de trajets migratoires de plus en plus longs, avec des pathologies de plus en plus avancées, donc de plus en plus longues à traiter. Sans compter que le poste interprétariat est en constante hausse. » Parfaitement sensibilisés, tous veillent à rester dans les clous du budget en limitant au strict nécessaire le nombre d’examens. « Pour autant, il n’y a pas de soins dégradés », assure Bertrand Robelin, qui a longtemps travaillé aux urgences.
Confrontée à des problématiques éthiques lourdes, l'équipe, très soudée, se réunit tous les jeudis après-midi pour faire le point sur les différentes situations et bénéficie, une fois par mois, d’une séance de supervision. « Dans notre pratique de la médecine générale avec une expertise de la précarité maximale, il faut accepter de faire beaucoup de démarches pour des résultats parfois limités, être doté d’une grosse capacité d’écoute et arriver à faire la part des choses entre l’urgence ressentie et l’urgence réelle », analyse la Dr Berthier. « Le travail d’équipe est essentiel. Y compris avec les spécialistes des autres services de l’hôpital avec lesquels nous collaborons étroitement. » L’équipe souhaiterait néanmoins que les patients puissent être pris en charge plus facilement en santé mentale.
Quelques heures passées dans le service suffisent à comprendre qu’entre ces murs, la rencontre patient-soignant prend une dimension singulière. Ainsi dans le bureau des infirmiers, un étrange dialogue par Google Translate interposé s’est noué entre une grand-mère géorgienne et Bertrand Robelin. Avant de s’éloigner sur un sourire, la femme aux allures de babouchka lui saisit la main et l’embrasse dans un geste touchant de reconnaissance.
*La PASS a été transférée à l'hôpital Edouard Herriot en 2010.
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