Les HCL obtiennent des résultats spectaculaires contre des malformations vasculaires in utero

Des bébés qui naissent presque sans séquelles alors qu’ils présentaient, pendant la grossesse, d’importantes malformations vasculaires : c’est la prouesse réalisée par une équipe des HCL. Elle a mis au point une thérapie anténatale qui a déjà permis de soigner six nourrissons sur le territoire national. Ce protocole innovant, encore en cours d’optimisation, pourrait transformer le pronostic de centaines d’enfants dans le monde.

Il se prénomme Émile. Il est né le 29 juillet 2025 à la maternité du CHU de Nantes (44) et se porte bien. Sans un traitement innovant conçu par une équipe des Hospices Civils de Lyon, cet heureux dénouement aurait pu ne jamais survenir. En mai, lors d’une échographie du 2e trimestre, une importante malformation vasculaire est détectée, occupant tout l’abdomen du fœtus avec une extension sur la paroi thoraco-abdominale. Dans la foulée, d’autres examens d’imagerie confirment qu’il s’agit d’une lésion vasculaire dite « malformation lymphatique kystique » dans une forme très extensive [lire encadré].

En temps normal, cette pathologie rare, mais non exceptionnelle (1 à 3 cas pour 1 000 naissances), confronte les parents à un choix crucial : interrompre la grossesse ou accoucher d’un enfant dont une partie du corps sera hypertrophiée. Dans le cas d’Émile, cette hypertrophie aurait même pu s’avérer létale à la naissance, en compromettant la vitalité du tube digestif. 

Il n’en a heureusement rien été car les médecins nantais ont proposé au couple un traitement médical prénatal inédit, développé par le Centre de référence des anomalies vasculaires superficielles (CRMR AVS). Coordonnant la prise en charge clinique et la recherche sur ces maladies rares, ce centre de référence, hébergé au sein du service d'imagerie médicale de l’hôpital Femme Mère Enfant-HCL, est particulièrement impliqué dans la médecine fœtale, en raison de son activité en imagerie prénatale.

En mai 2024, son responsable, le médecin radiologue Laurent GUIBAUD, avait présenté ce tout nouveau protocole de soins au club francophone de médecine fœtale.

Un médicament, donné à la mère, qui agit directement sur le gène responsable

Ce protocole repose sur l’administration anténatale de sirolimus, un médicament donné à la mère, par voie orale, dans le but de traiter le fœtus porteur d’une malformation vasculaire, décrit le Pr GUIBAUD. Connu, à l’origine, pour prévenir les rejets de greffe, par son effet immunosuppresseur, le sirolimus agit sur le gène PIK3CA, récemment identifié comme responsable des malformations vasculaires lymphatiques. Avec ce médicament, on freine l’angiogenèse, ce qui permet de réguler la formation excessive de vaisseaux lymphatiques. Au départ, nous avons utilisé le sirolimus en postnatal. Puis, nous avons eu la conviction qu’il fallait le tester en prénatal et avons alors abouti à des résultats spectaculaires.

Historiquement, avant l’utilisation du sirolimus, les lésions vasculaires lymphatiques extensives étaient traitées soit par chirurgie, avec des risques majeurs de complications dans les formes extensives, soit par sclérothérapies en radiologie interventionnelle (technique qui consiste à ponctionner puis injecter un produit sclérosant dans le kyste). Avec l’identification du gène responsable puis la reconnaissance de l’efficacité du sirolimus, plusieurs spécialistes ont ensuite, ces dernières années, combiné ce médicament "anti-angiogénique" aux sclérothérapies.

Au sein du CRMR lyonnais, ce protocole a été appliqué dès les premiers jours de vie, en particulier sur des nouveau-nés présentant des malformations lymphatiques extensives retentissant sur les voies respiratoires, avec des résultats très encourageants : une régression allant jusqu’à 80% du volume lésionnel, en 12 à 18 mois. 

Encore utilisé, ce traitement peut toutefois s’avérer lourd, médicalement pour les bébés et psychologiquement pour les parents, qui ont connaissance avant la naissance de l’importante malformation de leur enfant à naitre. Le Pr GUIBAUD et son équipe pluridisciplinaire (radiologues, ORL, obstétriciens, spécialistes des thérapies ciblées…) lui ont donc cherché des alternatives. En 2023, une publication dans Nature de médecins de Louvain (Belgique) les a interpellés. Elle évoquait le cas d’une patiente à qui l’on avait administré du sirolimus pendant sa grossesse.

Un traitement élaboré sur la base d’un premier essai mené en Belgique, mais jamais reconduit

Il s’agissait d’une maman de plus de 40 ans qui voulait à tout prix garder son bébé, malgré la malformation. En dernier recours, l’équipe médicale a tenté ce traitement in utero avec une bonne réponse thérapeutique. Aujourd’hui, l’enfant a 8 ans et se porte bien. Cependant, cette expérimentation s’était avérée délicate car, pour évaluer la dose de médicament qui atteignait concrètement le fœtus, des ponctions du cordon ombilical avaient dû être réalisées, exposant à un risque significatif de perte fœtale, relate le radiologue.

Lui et ses confrères lyonnais sont toutefois convaincus par le potentiel de ce protocole anténatal. Ils vont l’explorer et le développer « avec l’idée, notamment, de poursuivre le traitement jusqu’au terme de la grossesse, pour éviter les ponctions dans le cordon ombilical et offrir un dosage simultané et similaire à la mère et au fœtus. Certes, le sirolimus pouvait, potentiellement, perturber le développement cellulaire, mais la littérature scientifique et le cas du bébé traité en Belgique nous rendaient plutôt confiants. Avec l’accord des parents, nous avons donc procédé de la sorte sur un premier fœtus », confie le chef du Centre de référence des anomalies vasculaires superficielles.

Chez deux bébés, la lésion régresse de plus de 90%

Le résultat s’est révélé très convaincant. À la naissance, une grande partie de la lésion vasculaire détectée par l’imagerie pendant la grossesse avait disparu.

C’était presque un miracle. Une simple prise de médicament par la maman pendant la grossesse avait permis de résorber la malformation », souligne le Pr GUIBAUD, qui a partagé la nouvelle à ses confrères du club francophone de médecine fœtale, en mai 2024. « Depuis, nous sommes sollicités par des maternités dans toute la France et cinq autres mamans ont suivi ce traitement. Il y a un bébé sur lequel cela n’a pas fonctionné, nous sommes en train d’en chercher la raison. Mais chez les autres, la lésion a systématiquement régressé, à plus de 90% pour deux d’entre eux. 

À Nantes, Émile est donc le 6e enfant à avoir bénéficié de cette thérapie anténatale en l’espace de 18 mois sur le territoire national. Si, à la suite de l’initiative belge, d’autres essais in utero ont été menés, de manière isolée, notamment à Madrid, c’est la première fois qu’une telle série est constituée à l’échelle mondiale. Le travail réalisé autour de ces six cas fera bientôt l’objet d’une publication dans une revue scientifique internationale de premier plan. En attendant, l’équipe pluridisciplinaire des HCL continue d’œuvrer pour optimiser le traitement, avec notamment un objectif, celui de définir le dosage idéal de sirolimus à administrer à la femme enceinte, en termes de quantité et de durée. 

Objectif : parvenir à "standardiser" le traitement pour une utilisation mondiale

Nous travaillons activement sur la question du passage transplacentaire du sirolimus. Sur les deux premiers fœtus, nous avons commencé le protocole à 33 semaines de grossesse ; sur les derniers, comme dans le cas d’Émile, nous avons débuté dès 26 semaines. L’efficacité s’en est trouvée renforcée, mais nous devons en comprendre précisément les raisons ; comprendre également les variabilités que l’on a pu constater, d’un fœtus à l’autre, concernant le passage du médicament dans le placenta. Tout en améliorant cette thérapie anténatale, cela nous permettra également de garantir une sécurité maximale aux mamans, à qui nous demandons obligatoirement l’accord avant d’intervenir, décrit le Pr GUIBAUD.

Afin de poursuivre plus en avant ses recherches, le Centre de référence des anomalies vasculaires superficielles présentera prochainement sa candidature pour obtenir le statut de centre de référence européen dans le diagnostic et la prise en charge prénatale de malformations vasculaires superficielles.

En parvenant à optimiser le traitement et à le "standardiser" pour une utilisation en routine, nous pourrions, à terme, améliorer le pronostic de centaines d’enfants dans le monde, projette le médecin coordinateur du centre lyonnais
 

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Des malformations congénitales possiblement létales
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Quand elles surviennent dès la vie fœtale, les malformations lymphatiques kystiques engendrent des kystes, parfois très volumineux, qui peuvent retentir sur les voies respiratoires.

Au même titre que les malformations veineuses, capillaires ou artério-veineuses, les malformations lymphatiques kystiques font partie d’un ensemble de maladies rares dites « anomalies vasculaires superficielles ». Ces anomalies, qui touchent les parties molles à l’exclusion du cerveau ou des organes pleins, concernent aussi bien les enfants que les adultes. Elles peuvent provoquer des déformations, des troubles fonctionnels ou encore des complications du fait de leur caractère potentiellement compressif sur les organes de voisinage, en fonction de leur localisation.

Ces malformations sont congénitales, mais ne se manifestent pas toujours à la naissance. Parfois, elles se révèlent à la puberté, lors d’un événement hormonal, ou à la suite d’une complication, comme un saignement intra-kystiques. En revanche, quand elles surviennent dès la vie fœtale, elles engendrent des kystes, parfois très volumineux, qui peuvent retentir sur les voies respiratoires, empêchant potentiellement la respiration du bébé à la naissance.