« Parce que ma vie a dépendu d’eux, l’attachement est fort », Jean-Christophe Chauzy, patient à l’hôpital Lyon Sud
Trois intentions ont présidé à la création de la BD : la volonté de témoigner, le besoin de remercier et une formidable opportunité créative. Témoigner d’une expérience « extraordinaire dans la dureté et la beauté », dit-il. « Moi, qui travaille derrière mon bureau où il ne se passe jamais rien, la maladie a été l’événement de ma vie. » Remercier « par gratitude à l’égard de tous ceux à qui je dois d’être encore en vie, à commencer par mon hématologue, les soignants, ma sœur, ma compagne, ma famille. » L’opportunité créative ? « La possibilité offerte par cette épreuve de disposer d’un matériau narratif incomparable et de donner au travers de ce témoignage le meilleur de moi-même. »
Le résultat est un ouvrage résolument sincère, d’une sensibilité fine, intensément humaine. Une œuvre qui marque un tournant dans la carrière de son auteur, dans laquelle une nouvelle expression graphique a ouvert des perspectives inexplorées jusqu’alors. L’expérience de la maladie aura été une muse atrocement exigeante mais ô combien inspirante.

Les premiers symptômes, et puis l’annonce du diagnostic
À l’automne 2019, les premiers symptômes sont assez discrets : grosse fatigue et amaigrissement perceptible, qui ne l’ont pas empêché de continuer à travailler, dessiner, donner ses cours d’art appliqué dans une école du premier arrondissement de Lyon. Mais en fin d’année, les bilans sanguins, marqués par une chute vertigineuse du taux de plaquettes sanguines et un grossissement spectaculaire de la rate, s’avèrent très inquiétants. La biopsie ostéomédullaire qui suit fait réagir les médecins. « Un ami me conseille de prendre rendez-vous auprès des cadors de l’hématologie à Lyon Sud. » Nous sommes en février 2020, un mois avant le premier confinement généralisé.
« Le 18, j’apprends que je suis atteint d’une myélofibrose, que c’est grave, rare, de grade 3, soit le stade maximum de la maladie. Ma moelle osseuse était épuisée et commençait à fabriquer des blasts, c’est-à-dire des cellules sanguines immatures. »
L’annonce diagnostic se fait dans le bureau de consultation de la docteure Gaëlle Fossard, hématologue dans le service d'hématologie clinique de l'hôpital Lyon Sud. « Elle m’annonce que la situation est grave et que la pathologie peut se transformer en leucémie aigüe, que je peux en mourir mais qu’un traitement est possible. Elle m’explique ce que je peux entendre et me propose une parade. » Les émotions de Jean-Christophe s’opposent en de violents contrastes. « Je suis percuté, terrifié. Je passe un sale moment. J’essaie d’être aussi attentif que je peux aux paroles du médecin, qui m’accorde du temps, emploie des analogies pour que je comprenne ce qui m’arrive. Elle me dit qu’on ne va pas se laisser faire, ses explications sont claires, pédagogiques et positives. L’instant est dramatique, mais il y a de l’espoir. » Et l’espoir, c’est la greffe de moelle osseuse.
Des couleurs sur le corps
L’annonce du diagnostic résonne comme un orage dans un ciel devenu soudainement très sombre. « Je suis sorti effondré de la consultation. Je téléphone à mon frère et ma sœur pour leur dire qu’ils vont recevoir un appel. » Les médecins cherchent un donneur. Des examens indiquent que sa sœur Corinne est compatible. Les choses vont vites. En avril, il est hospitalisé. Il croise Corinne qui vient de passer trois jours dans le service d'hématologie clinique pour le prélèvement de greffon. Quatre jours plus tard, soit le nombre de jours de chimiothérapie nécessaire pour « tuer ma moelle osseuse et la remplacer par le greffon. » L’instant est solennel : « Trois infirmières m’entourent, le moment est important. Des photos sont prises. Il faut une demi-heure pour que les 30 centilitres de moelle passent de la poche à mon organisme via une voie centrale. Ce n’est pas douloureux. » La douleur vient les jours qui suivent, principalement due à la dernière injection : « J’ai mal partout et nulle part précisément. Puis, je biberonne de la morphine et là, je fais des hallucinations éveillées. Je voyage autour de la planète, je suis trois personnes à la fois quand je vais aux toilettes. Je vois des couleurs sur mon corps. » Dans la chambre stérile, le patient ne reçoit que les professionnels de santé : médecins, internes, infirmières, aides-soignantes, psychologue, kinésithérapeute. « Des personnels engagés, qui font attention à moi, me protègent, prennent mes constantes toutes les quatre heures. Je me sens entouré de gens experts et bienveillants, dont je ne connais pourtant pas les visages puisque tous portent des masques. Ils sont attentifs à l’être humain que je suis. »
Le soin comme source d’inspiration
Après six semaines en chambre stérile, le patient peut rentrer chez lui : « Malgré l’envie de quitter l’hôpital, j’étais terrifié. Le monde extérieur devenait une menace. Pendant des mois, je n’ai pas pu voir mes enfants. Je suis resté à la maison pendant trois mois sans sortir. Mon immunité, cinq ans après, est encore en voie de reconstruction. » Il faut réapprendre à vivre. La convalescence est longue, ponctuée de visites à l’hôpital de jour. « J’ai dû refaire les vaccins de l’enfance, et j’ai cette impression de grandir à nouveau. C’est une seconde chance qui m’a été donnée ». Cette expérience de la finitude de son propre corps, Jean-Christophe va en faire la matière de son prochain livre. « La maladie m’a tenu éloigné de mon travail avant d’être une source d’inspiration extraordinaire. » L’auteur donne vie à Sang neuf*: « Je n’avais jamais été aussi seul et aussi entouré à la fois. J’avais des choses à raconter, un drame humain avec des vrais morceaux de réel. Je voulais montrer l’intensité de ce vécu traversé par des tourbillons d’espoirs, de frayeurs, et je devais le faire comme jamais auparavant. Mon boulot d’auteur a été de faire ressentir l’espoir, l’attente, la culpabilité, la peur de la mort et sa proximité. »
Le bédéiste change alors sa manière de dessiner, de donner à voir une histoire qui, pour la première fois, n’est pas fictionnelle. Il passe par des métaphores, utilise l’encre, et parvient à davantage de simplicité. Son ambition est grande et le résultat se doit d’être à la hauteur. Le roman graphique immerge le lecteur dans le maelström d’émotions et de réflexions du patient. Il détaille le corps, la relation aux soignants. Il raconte le lien « magique » avec sa sœur, l’ombre des angoisses, la lumière du rétablissement, la complexité d’une expérience physique, émotionnelle et spirituelle. « Mon moi d’avant est mort. Depuis ma renaissance, ce qui est beau me paraît plus beau encore, ce qui est violent, plus violent encore. » Les patients s’y retrouvent et les soignants saluent l’hommage qui leur est rendu.
Cinq ans plus tard, Jean-Christophe continue d’être suivi aux HCL, en hématologie, et aussi en dermatologie et en cardiologie. Côté BD, il a renoué avec la fiction. Si la maladie a prélevé sa part, le soin lui a fait gagner « une autre famille ».
« Les hospitaliers te voient dans une situation que tes proches n’ont jamais vue, ont écouté tes angoisses au moment où tu es le plus vulnérable, et parce que ta vie a dépendu d’eux, l’attachement est fort. »
- Service d'hématologie clinique - Service/consultation
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*Sang neuf, Jean-Christophe Chauzy, mars 2024, 256 pages, éditions Casterman.