Drépanocytose : la délicate transition vers l'âge adulte

Des études ont montré qu’entre 18 et 24 ans, l’adhésion des patients souffrant de drépanocytose à leur prise en charge est à son plus bas niveau. À l’Institut d’hématologie et oncologie pédiatrique (IHOPe) des HCL, un essai clinique* réunissant chercheurs, patients et familles vise à améliorer cette transition difficile à l’origine de complications.

En France, la drépanocytose atteint un enfant sur environ 1 730 naissances. Entre 19 800 et 32 400 personnes souffraient d’un syndrome drépanocytaire majeur en 2016, ce qui en fait la maladie génétique la plus fréquente à l’échelle nationale. Elle est caractérisée par une anomalie de l’hémoglobine, principale protéine du globule rouge. La fonction de l’hémoglobine est de transporter l'oxygène des poumons vers tous les tissus de l'organisme et le gaz carbonique des organes vers les poumons. Les globules rouges, déformés par la maladie, deviennent fragiles et rigides. Au fil du temps, la circulation sanguine dans les petits vaisseaux sanguins est obstruée par ces globules déformés. Les premiers symptômes peuvent apparaître dès l’âge de trois mois. Les nourrissons sont généralement asymptomatiques car ils bénéficient de la présence d’hémoglobine fœtale non mutée.

La maladie entraîne une anémie sévère, une sensibilité aux infections bactériennes graves (méningites, pneumonies, septicémies), et des crises vaso-occlusives (CVO) pouvant conduire à la nécrose des tissus associée à de fortes douleurs.

« C’est une maladie vraiment très douloureuse, atroce en fait ! », confie un patient qui vit avec la maladie depuis 35 ans. Autre complication, le syndrome thoracique aigu (STA) est la première cause de décès chez les personnes atteintes de drépano-cytose. Elle résulte d’une occlusion des capillaires pulmonaires, entraînant des douleurs dans la poitrine et parfois une fièvre. Les accidents vasculaires cérébraux sont également fréquents chez les enfants drépa-nocytaires, avec des conséquences parfois irréversibles.

De l'adolescent à l'adulte : une période de bouleversements

À Lyon, l’Institut d’hématologie et oncologie pédiatrique (IHOPe) prend en charge les enfants drépanocytaires de leur naissance jusqu’à leur majorité. Ensuite, la relève est assurée par les équipes du service de médecine interne de l’hôpital Edouard Herriot.

Cette phase de transition entre la pédiatrie et l’adulte est d’autant plus sensible que les patients sont en pleine adolescence. À cette période, les changements sont nombreux : la scolarité, les relations amoureuses, la puberté, le besoin d’autonomie... Les études ont montré qu’entre 18 et 24 ans, l’adhésion des patients à la prise en charge (médicaments, thérapeutiques, consultations) est à son plus bas niveau. Les conséquences sont multiples : une augmentation des complications à long terme et de la mortalité ainsi qu’un recours accru aux services de soins aigus. « Parfois, je ne prends pas mes médicaments. J’oublie, je ne sais pas pourquoi, juste je n’y pense pas », exprime Raphaël, 14 ans. De plus, le passage du secteur pédiatrique au service adulte est souvent vécu difficilement par ces patients qui ont tissé des liens forts avec les professionnels de santé qu’ils côtoient, pour certains, depuis leur naissance.

Dans le but de soutenir les patients à ce moment critique et porteur de nombreux enjeux de leur prise en charge, une équipe de recherche lyonnaise s’est constituée. Le projet, un essai clinique contrôlé randomisé, a été lauréat en 2017 d’un appel à projet Preps (programme de recherche sur la performance du système de soins) de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). « L’hypothèse est qu’un programme de transition pédiatrie-adulte biopsychosocial permettrait de diminuer les complications fréquentes de la drépanocytose conduisant à une hospitalisation, c’est-à-dire les crises vaso-occlusives (CVO), le syndrome thoracique aigu et l’accident vasculaire cérébral, dans les deux premières années du suivi en secteur adulte », explique la pédiatre Alexandra Gauthier-Vasserot, investigatrice principale de l’étude.

Des impacts très concrets

L’essai clinique multicentrique a débuté par le centre coordonnateur à Lyon en janvier 2019. Il prévoit l’inclusion de 103 patients, issus des cinq centres participants à Créteil, Lyon, Paris, Kremlin-Bicêtre et Fort-de-France. Le programme de transition développe trois axes d’intervention entre les 16 et 19 ans du patient : éducatif, psychologique et social. Sont mobilisés des médecins, pharmaciens, infirmiers, psychologues, attachés de recherche clinique, des associations de patients et des patients partenaires. Les interventions se déroulent à l’hôpital et à domicile, avec le patient, sa famille et en groupe, en présence de patients atteints de la même maladie (pair-aidance). « Les résultats attendus sont pour les patients et les familles : une meilleure santé, une meilleure qualité de vie et bien sûr, un meilleur vécu de la transition », annonce Delphine Hoegy, cheffe de projet de l’étude et pharmacienne aux HCL.

À l’été 2022, 78 adolescents avaient été inclus dans l’étude. Les premiers résultats sont attendus par l’équipe de recherche à l’automne 2023. Ils devront permettre de vérifier l’impact du programme, par exemple sur l’absentéisme scolaire, la qualité de vie des patients et de leurs parents, leur niveau de littératie en santé (1) et de connaissances de la maladie et de son traitement. Des enjeux concrets pour ces adolescents et jeunes adultes confrontés aux changements.

 

*Étude Drép’Ado menée par le Centre de référence constitutif des syndromes drépanocytaires majeurs, thalassémies et autres pathologies rares du globule rouge et de l'érythropoïèse, composé de l'IHOPe et du service de médecine interne de HEH.

(1) La capacité du patient à comprendre, s’approprier et utiliser de manière autonome l’information en santé.

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Dernière mise à jour le : mer 24/01/2024 - 11:16