« Le don d’organes, passerelle entre vie et mort », Marie-Antoinette, sœur d’un donneur
« Mon frère s’est écroulé, au travail, un lundi matin : dissection aortique ». Les années ont passé mais le souvenir reste intact. Marie-Antoinette relate les derniers jours que son frère, Franck, a passé à l’hôpital avant de s’éteindre définitivement. « Il a d’abord été transporté en urgence à l’hôpital Saint-Joseph Saint-Luc, puis a été transféré à l’Infirmerie protestante pour y être opéré. » À son réveil en salle de soins intensifs, il déclare des complications pulmonaires. Le cerveau a pu être privé d’oxygène et des séquelles sont à prévoir. Il est ensuite opéré à nouveau de l’aorte. Lors de cette deuxième intervention, il est plongé dans un coma artificiel.
Après quelques jours, la mort encéphalique advient. « Ses deux enfants, tous deux majeurs, et moi-même entourons Franck, qui semble juste endormi sur son lit d’hôpital. Un médecin nous explique alors avec beaucoup de tact ce qu’est la mort encéphalique. Franck nous avait quittés pendant la nuit. Son cerveau ne montrait plus aucun signe d’activités. Fort heureusement nous étions entourés de nombreux membres de la famille et d’amis, partageant avec nous. »
« Une question jamais évoquée : le don d’organes »
Pour autant, il faut du temps à la famille rassemblée autour du défunt pour intégrer le fait qu’il ne reviendra plus. « Je le voyais respirer et je me disais qu’il allait se réveiller d’un instant à l’autre. » En état de mort encéphalique, le corps est encore chaud et coloré. L’activité cardio-respiratoire est maintenue par l’assistance de machines et l’administration de médicaments par voie intraveineuse afin de préserver l’oxygénation des organes et des tissus, en vue d’une éventuelle transplantation. Néanmoins, les fonctions vitales sont bel et bien détruites et ce, d’une manière irréversible. Ce n’est pas un coma, excluant la possibilité du retour de la conscience.

« J’étais en mode pilotage automatique. La succession des événements sur quelques jours seulement et l’annonce du décès ont été brutales pour nous tous. » Dans cet instant tragique, Marie-Antoinette et les enfants se voient aborder par les professionnels de santé de la Coordination des prélèvements d'organes et de tissus (CHPOT) des HCL.
« Se pose alors une question que nous n’avions jamais évoquée ensemble : le don d’organes. » La discussion oblige chacun à réfléchir, à se positionner, à définir ses limites. Ce n’est pas facile, a fortiori quand le temps est compté, le maintien de l’activité cardio-respiratoire ne pouvant perdurer plus de quelques heures. Précisons par ailleurs qu’avec seulement 1 % des décès à l’hôpital, soit 5 000 cas par an en France, la mort encéphalique représente jusqu’à 80 % des possibilités de prélèvement d’organes1.
« Qui sommes-nous pour prendre une décision à sa place ?, interroge Marie-Antoinette. Nous nous sommes demandé ce qu’il aurait décidé, lui. Franck était une personne joviale, généreuse, tournée vers les autres. Cependant, nous avions des réticences à confier son corps, ne sachant pas comment l’intervention se déroulait. »
Et c’est là que les infirmiers nous ont expliqué que ce serait une opération chirurgicale comme les autres, avec tout ce que cela comporte de respect du corps, que les points de suture sont identiques à ceux des patients vivants. Et nous avons accepté la transplantation, confie Marie-Antoinette.
Une opération comme les autres ? Pas tout à fait puisqu’elle aura lieu à l’hôpital Édouard Herriot en présence de l’infirmière de la Coordination qui tiendra informés, heure par heure, Marie-Antoinette et les enfants, du déroulement du prélèvement. Elle passera même à leur demande une chanson de Renaud en souvenir de Franck... « Ma nièce a émis une restriction : on ne touche pas aux yeux. Elle a été entendue et écoutée. » Franck aura donné son cœur, ses poumons, ses reins et de l’épiderme.
Un soutien qui donne du sens
Plus tard, Marie-Antoinette et ses proches se voient proposer un accompagnement psychologique. Ils décident de bénéficier de cette prise en charge réservée aux proches de donneur. « Nous avons été encadrés par l’équipe de la Coordination et plus spécifiquement par la psychologue. Je n’aurais jamais pensé pouvoir bénéficier d’un tel degré d’empathie. »
Marie-Antoinette va ainsi être suivie pendant un an, à raison d’une consultation tous les deux mois. « Je voyais mon frère partout. Je pleurais sans raison. Ce que j’avais vécu s’apparentait à ce que peut vivre une victime d’attentat, m’a-t-on dit. Je n’étais donc pas folle. La psychologue a été d’une grande écoute et d’une grande disponibilité, très professionnelle. On s’est pris un mur à grande vitesse et nous avons été sonnés quelque temps. »
Ce soutien psychologique a été vraiment salutaire. Il nous a permis de mettre des mots sur les maux que l’on ressentait, explique Marie-Antoinette.
Il aura aussi permis de donner du sens : « Alors que nous étions dans la souffrance et la mort, nous avons cheminé ensemble et individuellement. Il y a le monde de la mort et le monde de la vie, c’est cette passerelle entre les deux que la famille du donneur construit. » Après le décès de son père, la nièce de Marie-Antoinette a changé d’orientation scolaire, bifurquant des sciences politiques aux études en soins infirmiers. « Le 22 juillet 2025, elle a obtenu son diplôme d’État à l’IFSI Esquirol. Quelle fierté ! », informe sa tante, dans un sourire.
« Un an après le prélèvement, j’ai appris que les personnes qui ont reçu les organes de Franck étaient vivantes. Le don d’organes et de tissus permet cela : redonner la vie », souffle Marie-Antoinette, avec émotion.
1. Données 2023, agence de la biomédecine.