Quand des patientes racontent leur vie sur scène : du stand-up pour mieux vivre son cancer

Elles se sont prêtées au jeu pendant trois mois aux côtés d’artistes professionnels. Vendredi 20 juin, onze patientes en oncologie des HCL se sont produites au Théâtre de la Croix-Rousse dans un spectacle de stand-up visant à intégrer l’art dans l’accompagnement des patients atteints d’un cancer.

A chaque punchline déclamée, les rires ont fusé. Pendant plus de deux heures, ce vendredi 20 juin, la centaine de spectateurs présents - familles, amis, soignants - s’est régalée des récits, souvent intimes, parfois poignants, mais toujours drôles, divulgués, un à un, sur la scène du Théâtre de la Croix-Rousse. Difficile de croire que les autrices de ces textes ciselés, affutés, n’avaient jamais pratiqué le stand-up, il y a encore deux mois. Plus difficile encore d’imaginer que ces onze femmes, pleines d’assurance et de culot micro en main, sont toutes atteintes d’un cancer.

Lancé en lien avec la pièce "Stand-up" de Mohamed EL KHATIB jouée en parallèle au Théâtre de la Croix-Rousse, le projet On’Comedy Club a débuté en mars 2025. Il partait alors d’une feuille blanche. Les artistes chargés d’animer les 34h d’ateliers, Bamba FALL, stand-uppeur lyonnais et Charlotte FERMAND, metteuse en scène et comédienne, n’avaient jamais travaillé en milieu hospitalier. Certes habitués à mener des projets culturels au sein du CHU, les professionnels des HCL, de leur côté, ne savaient pas si ce projet-là, particulièrement audacieux, séduirait.

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Patientes sur scène
Patientes sur scène lors du spectacle au Théâtre de la Croix-Rousse le 20 juin 2025

Chacune a mis tout son cœur pour apprivoiser les codes de cet art si particulier

Ouvert à tous les patients des HCL suivis en oncologie au sein du CHU, On’Comedy Club, co-conçu avec le Théâtre de la Croix-Rousse, a finalement attiré onze volontaires. Toutes des femmes - « peut-être parce qu’elles osent plus », avance Nathalie PIAZZON, infirmière en pratique avancée spécialisée en oncologie au sein de l’hôpital de la Croix-Rousse et l’une des conceptrices du projet. Et toutes atteintes d’un cancer du sein ou gynécologique, mais à des stades différents. Certaines avaient déjà pris part aux programmes artistiques qui ont précédé ce projet. Aucune n’était jamais montée sur scène.

« Nous pensions que la pratique du stand-up pouvait favoriser la confiance en soi, l’expression émotionnelle et gestuelle, ainsi qu’une prise de distance avec la maladie. Mais cela restait un pari, au départ, car se mettre en scène, exprimer ses émotions et surtout faire rire, en public, peut faire peur, paraître impressionnant. Nous avons tâché de construire une proposition artistique à-même de rencontrer son public », indique Sergueï PIOTROVITCH D’ORLIK, responsable de la mission Culture et Patrimoine Historique au sein des HCL, qui a copiloté le projet. L’enthousiasme et l’implication des patientes ont rapidement levé les doutes. Tout au long de la quinzaine d’ateliers organisés, chaque lundi, au 4e étage de l’hôpital de la Croix-Rousse, chacune a mis tout son cœur pour apprivoiser les codes de cet art si particulier : la gestuelle et l’expression corporelle avec Charlotte, l’écriture et le ton avec Bamba.

 « Le stand-up, ça paraît simple de l’extérieur, mais c’est hyper technique, souligne ce dernier. Il faut écrire, interpréter, jouer sans le "quatrième mur", dialoguer directement avec le public. Ce sont autant d’aspects différents qu’il a fallu transmettre en tout juste trois mois. Et elles ont tout absorbé. Elles ont écrit, elles ont compris les enjeux, elles ont produit des choses très personnelles, très fortes. Je n’avais jamais travaillé avec un tel public. Les meilleures histoires, les plus fortes, viennent d’un vécu intense. L’humour naît souvent de l’épreuve, du traumatisme. Il y a une profondeur dans ce que vivent ces femmes et elles ont réussi à le retranscrire. Elles nous ont touchés. C’est une vraie réussite, pour elles comme pour moi ».

« Oui, j’ai un cancer au-dessus de la tête. Et pourtant, je suis là. Vivante. »

Tout autant que le rendu final, salué par de longs applaudissements, vendredi, lors de la restitution publique, c’est le chemin parcouru qui a donné du sens au projet. Suivie depuis plusieurs années à l’hôpital de la Croix-Rousse, Lily, l’une des onze patientes, l’exprime à mots choisis : « Nous sommes allées à la rencontre de l’art, mais surtout de nous-mêmes. On se recrée. On renaît. Par la parole, par l’écriture, par l’humour. Chaque atelier, chaque mot posé, chaque rire partagé, c’est une victoire. Oui, j’ai un cancer au-dessus de la tête. Et pourtant, je suis là. Vivante. Présente. Et ces ateliers nous l’ont rappelé. Ils nous ont ré-ancrées dans la vie, préparées à "l’après-maladie". Et puis, c’est notre espace. On n’est plus dans un protocole thérapeutique que l’on subit, impuissantes. On se réapproprie nos corps, nos esprits, nos émotions. On continue à être humaines. À ressentir. À vivre, tout simplement. »

A vivre et à partager des instants collectifs, aussi. A onze. En équipe. « Ce projet a créé une vraie solidarité. On parle même de sororité entre nous. Ce n’est pas juste un mot, c’est réel, insiste Solange, la doyenne du groupe. Il y en a certaines avec qui je n’aurais pas imaginé avoir une affinité. Et puis, au cours des ateliers, j’ai découvert leur personnalité, leur humour, leur intelligence, leur créativité. Il y a tellement de ressources chez chacune, c’est bluffant. Je ne pensais pas vivre ça un jour. Être malade, traverser ce qu’on traverse, et en même temps rire, créer, partager des choses aussi fortes. C’est incroyable. Je suis fière, vraiment fière, de faire partie de ce groupe. On n’a pas fait pas ça pour oublier la maladie, mais pour montrer qu’on est plus que ça. Qu’on est vivantes, drôles, brillantes. Et qu’on a des choses à dire. Et, grâce au stand-up, on a pu le faire. Toutes ensemble. »

Un projet de recherche pour mesurer les bienfaits de cette approche artistique à l’hôpital

Marquante pour tous ceux qui l’ont vécu, patientes, comédiens, mais aussi soignants, cette aventure ne restera pas sans lendemain. Enregistré au fil des semaines par l’artiste Nolwenn GUEHENNEUX, un podcast permettra de garder une trace du projet. Diffusé pendant la restitution sur scène vendredi dernier, il sera bientôt disponible sur les sites Internet des HCL et du Théâtre de la Croix-Rousse. Surtout, dans la lignée d’On’Comedy Club et des programmes précédents, permis grâce au dispositif national "Culture et Santé", de nouvelles initiatives devraient voir le jour face aux bienfaits générés par ces approches artistiques en milieu hospitalier. L’une de ces initiatives consistera, justement, à mesurer ces bienfaits. C’est, en tout cas, l’objectif du Dr Marion CORTET, qui, avec On’Comedy Club, en est à son deuxième projet du genre mené au sein des HCL.

« On voit ce que cela apporte aux patientes », explique la cheffe de service adjointe en chirurgie gynécologique à l’hôpital de la Croix-Rousse. « Certaines sont encore malades, ont un pronostic difficile, et pourtant, elles trouvent dans ces projets la possibilité de redevenir actrices de leur parcours, de ne plus subir, de donner du sens à ce qu’elles traversent, en dehors du cadre strictement médical. Je ne sais pas si cela les aide à "guérir" au sens médical, mais ce qui est certain, c’est que cela améliore la qualité de vie. On le ressent. Et cela a aussi un impact très positif sur les soignants. Voir nos patientes s’exprimer ainsi, créer, nous remercier à leur manière, c’est extrêmement motivant. Nous souhaitons donc aller plus loin. Avec Sarah CARVALHO, professeure de philosophie à l’Université Lyon 1, nous allons lancer un projet de recherche pour documenter ces effets, autant sur les patients que sur les équipes soignantes. Car si nous voulons que ces initiatives se généralisent, il faut des données, des preuves. Je crois profondément que l’art peut contribuer à réinventer la manière dont on soigne et dont on accompagne ».

Mener à bien des projets auprès des patients

Lancé par les ministères de la santé et de la culture sous forme d’expérimentation en 1999, puis pérennisé en 2010, le dispositif national "Culture et Santé" a pour vocation d’offrir un accès à la culture à tous les publics en milieu hospitalier et médico-social. Décliné dans chaque région, il est piloté, en Auvergne-Rhône-Alpes, par l’Agence régionale de santé (ARS), la Région, ainsi que la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) et animé par l’association InterSTICES. Depuis la signature d’une nouvelle convention régionale en 2023, les HCL constituent un partenaire de choix, bénéficiant chaque année, des financements du dispositif pour mener à bien des projets auprès de leurs patients, en partenariat avec une structure culturelle locale d’excellence.

En 2023, ils se sont ainsi associés à la Maison de la Danse pour concevoir Je reviens pour danser, à destination des patients de la Plateforme d’Oncologie Pluridisciplinaire des hôpitaux Est-HCL. En 2024, Le socle de nos mots, impliquant une artiste plasticienne et une écrivaine, a donné lieu à deux événements au Musée d’Art Contemporain (MAC Lyon), d’abord à des ateliers d’écriture en lien avec des œuvres de la Biennale d’art contemporain, en fin d’année 2024, puis à la diffusion d’un film retraçant le projet, en mai dernier. Ce sont la réussite de ces projets qui ont incité le Dr Marion CORTET et l'infirmière en pratique avancée Nathalie PIAZZON, du service de gynécologie de l’hôpital de la Croix-Rousse, à prolonger l’expérience, en 2025, avec On’Comedy Club.

« Toutes les participantes du Socle de nos mots ont pris part à On’Comedy Club. Sauf une, qui est décédée de son cancer cet hiver, ce qui a encore uni davantage les patientes entre elles », raconte Nathalie PIAZZON. « Notre volonté, au Dr CORTET et à moi-même, c’était de proposer autre chose, de créer une parenthèse hors des soins. Pas de l’art-thérapie, non, car ici on n’est pas suivi par un thérapeute. Mais de l’art. Pur. Laisser les patientes libres, accompagnées uniquement par les artistes. Offrir un espace d’expression, sans objectif clinique, mais avec une profonde humanité. Parce qu’à l’annonce du cancer, il y a souvent une urgence de vie. Beaucoup ressentent ce besoin de créer, d’exister autrement, face à la perspective de la mort. Alors on a choisi de les accompagner dans ce mouvement. On est dans l’essence même du vivant. Et nous, soignants, on apprend aussi. Parfois, elles nous bousculent, elles nous montrent ce qu’on ne voit pas. Et elles nous motivent, nous donnent du sens : l’hôpital, ce n’est pas seulement soigner, c’est aussi accompagner la vie. »

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