« Je n’ai jamais exercé une activité avec autant de sens », Christian Sainz, pair-aidant en addictologie

Christian Sainz raconte sans détour son expérience qui lui permet aujourd’hui d’intervenir auprès des usagers du centre d’addictologie de l’hôpital de la Croix-Rousse.

Ses premiers contacts avec l’addiction remontent à l’enfance. Il grandit dans un foyer où l’alcoolisme impose sa tyrannie. À l’âge de dix-huit ans, il profite de remplir ses obligations militaires pour s’en extraire. Sa vie professionnelle débute ensuite sous le signe de la réussite. Il gravit les échelons de la hiérarchie sociale et se retrouve à moins de trente-cinq ans directeur commercial dans une entreprise, leader sur le marché international du transport et de la logistique. « L’alcool m’a certainement aidé à me désinhiber, créer des liens, voire manager. À cette époque, je ne me rendais pas compte que mon rapport à la boisson pouvait être problématique. » Pendant des années, Christian va alterner périodes d’abstinence et consommations excessives.  

En 2006, il s’associe pour créer une agence de web marketing. Tout va pour le mieux jusqu’à la séparation des deux associés. En 2012, à 46 ans, il se retrouve un temps sans emploi, sans cadre professionnel pour rythmer ses journées, le prémunir de ses pulsions dévastatrices. « C’est à ce moment-là que j’ai commencé à plonger. Je consommais tous les jours, un peu, et le week-end, beaucoup. » Les mois passent et les apéros de 19 heures commencent de plus en plus tôt dans l’après-midi. Chaque jour, il se dit qu’il va arrêter et chaque jour il continue à boire. Puis vient la Covid-19 et avec elle le confinement. « C’est devenu compliqué pour s’approvisionner, boire la journée, en cachette de ma femme et de ma fille. » Christian passe par le déni, la colère, « une grande colère », dit-il, avec le souvenir de cette image dégradée de lui-même, d’un amour propre altéré, de cette culpabilité lourde et constante qui pèse au quotidien. 

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Christian Sainz
Christian Sainz, pair-aidant en addictologie

« J’étais malade » 

Un matin, au lever, Christian vomit son alcool de la veille. C’est en quelque sorte le déclic. Il s’ouvre de son addiction à sa famille, puis à son médecin généraliste qui l’oriente vers le centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de l’hôpital de Mâcon. Il accepte une cure de sevrage de dix jours. « Je n’ai eu ni tremblements, ni phénomènes physiques particuliers. J’étais plutôt confiant sur ma capacité à arrêter mais ce n’est pas aussi simple. » S’en suit huit semaines de postcure en Auvergne : « une période durant laquelle la personne alcoolique peut déclarer des troubles physiques. J’ai beaucoup appris. J’ai intégré le fait que j’étais malade ce qui m’a permis d’éloigner mon sentiment de culpabilité, une étape fondamentale du rétablissement. » L’alcool a fini par quitter sa vie, le 17 juillet 2020 précisément.

« Je m’en suis sorti grâce à ma famille et aux soignants. J’ai compris aussi qu’il ne servait à rien de perdre de l’énergie à essayer de comprendre l'origine de mon alcoolisme. »  

Un jour, un reportage sur des patients experts l’interpelle. Il prend alors contact avec l’association des patients experts en addictologie (A.P.E.A.). Après deux années d’abstinence, il peut suivre la formation et obtient sa certification en octobre 2023. Et c’est en surfant sur LinkedIn, qu’il découvre le profil du Pr Benjamin Rolland, chef du service universitaire d’addictologie de Lyon - SUAL situé à l'hôpital Edouard Herriot.

Le sens du soin 

« Le Pr Rolland m’écoute, puis me met en relation avec Nathalie Enjolras, pair-aidante en addictologie. Les stages à l’hôpital Édouard Herriot sont très enrichissants. Je suis l’équipe de liaison et de soins en addictologie. Les médecins, les docteurs Bailly, Lejeune et Joubert du centre d’addictologie de l’hôpital de la Croix-Rousse, m’intègrent en tant que pair-aidant intervenant bénévolement un jour par semaine. Et huit mois plus tard, un poste salarié s’ouvre à mi-temps au Csapa de la Croix-Rousse. Je postule et suis embauché le 1er juillet 2024. » 

L’ancien entrepreneur s’adapte rapidement, vouant une reconnaissance sincère à l’hôpital et aux soignants. Il est fier de compter parmi les membres de l’équipe de soins du centre d'addictologie de l'hôpital de la Croix-Rousse. « Les patients me perçoivent comme un pair, ce qui instaure une relation de proximité différente. Nous avons une compréhension mutuelle de l’addiction. Ma présence complète celle des soignants. Bien sûr, je dois rester moi-même vigilant sur ma santé. Et je bénéficie d’une supervision, quand la consultation a remué trop de choses en moi, je fais appel à la psychologue du centre pour évacuer. » 

Il se sent à sa place, aux côtés des soignants et auprès des patients, « comme si je travaillais ici depuis toujours », partage-t-il. « Le soir, quand je rentre à la maison, je suis satisfait d’avoir pu aider, que ce soit en consultation individuelle ou dans les groupes de parole. On envisage d’ailleurs de créer des groupes de parole ouverts, accessibles à toute personne adressée par le Csapa, organisés à date fixe. Il n’y aurait ainsi pas d’engagement sur la durée ; ce serait plus un outil à disposition pour les malades. » 

Prévention et équilibre 

Cette nouvelle vie marque un changement profond : « Je n’ai jamais fait un travail avec autant de sens. » Pour compléter son activité à temps partiel, il assure des missions pour un cabinet de prévention des addictions en entreprise, pour lequel il se déplace en Auvergne Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Aujourd’hui, Il demeure vigilant, au regard de la présence omniprésente de l’alcool dans la société française. Il souhaite d'ailleurs mener des actions de prévention dans les collèges et les lycées : « Les réseaux sociaux jouent sur le système de la récompense, si ce n’est pour nous rendre captifs, au moins pour que nous passions le plus de temps possible à les consulter. Les jeunes sont exposés, sollicités en permanence. Il est donc important de les sensibiliser aux phénomènes d’addiction, que l’on parle d’alcool, de toute autre drogue et de comportements addictifs. » 

Lui, qui a développé au cours de sa vie de tels comportements, montre d’une façon exemplaire que le rétablissement est accessible à tous, quel que soit le type d’addiction que l’on subit. « Après toutes ces années, j’aspire enfin à l’équilibre. » 

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Blocs libres

Grâce à son expérience personnelle de la maladie, le pair-aidant offre un soutien précieux aux personnes qu'il accompagne. Il les soutient dans leur parcours de soins, les aide à mieux comprendre leur maladie et à gérer les difficultés du quotidien en se basant sur sa propre expérience.