Double greffe des bras : Prouesse chirurgicale et organisationnelle

Felix Gretarsson, 48 ans, a bénéficié d’une double greffe des bras, effectuée mercredi 13 janvier à l’hôpital Edouard Herriot.

Le 12 janvier 1998, la vie de Felix Gretarsson bascule : il est victime d’un grave accident sur une ligne à haute tension. La décharge de 11 000 volts brûle les mains du jeune électricien islandais de 26 ans. Il est plongé dans le coma. Son corps est meurtri par d’innombrables fractures et ses organes internes sont touchés. Trois mois plus tard, à sa sortie du coma, il se réveille amputé des deux bras. Une nouvelle existence commence pour Felix. Déterminé à s’en sortir, il se documente sur les greffes, jusqu’à ce jour de 2007, où il provoque une rencontre avec le professeur lyonnais Jean-Michel Dubernard, pionnier mondial de la greffe de mains en 1998, alors en conférence à Reykjavik. Le début d’une nouvelle vie. Felix entrevoit l’espoir, vend tout ce qu’il possède en Islande et vient passer les premiers tests en France, en vue de bénéficier d’une greffe bilatérale de bras : une première mondiale. Ventes de charité, associations caritatives, appels aux dons... Toute l’Islande se mobilise pour « l’homme sans bras », afin de l’aider à déménager en France et à financer son opération.

  • En 2011, une transplantation est envisagée par l’équipe lyonnaise. Felix a déjà bénéficié d’une greffe de foie (en 2002) et prend déjà un traitement anti-rejet à vie.
  • En 2013, Felix emménage à Lyon, pour démarrer le travail préparatoire à la chirurgie. Commence alors une interminable attente et la quête d’un donneur compatible.
  • Felix enchaîne les séances de sport et de préparation, pour être prêt le jour où son téléphone sonnera pour lui annoncer qu’il part au bloc (reportage France 3)
  • Mercredi 13 janvier 2021, Felix, âgé de 48 ans, a bénéficié d’une greffe bilatérale de bras (au niveau de l’épaule à gauche et trans-humérale proximale à droite). Son intervention a duré près de 15 heures, reposant sur un acte chirurgical complexe mené par une équipe pluridisciplinaire, allié à une thérapie immunosuppressive déjà en place pour sa greffe de foie et qui devra être poursuivie tout au long de sa vie. (Vidéo - Double greffe des bras : L'incroyable reconstruction de Félix Gretarsson)

La réalisation d'une telle opération passe par deux grandes étapes préalables : le prélèvement des membres sur le donneur, un patient décédé, et parallèlement, la préparation du receveur, en l'occurrence Felix Gretarsson. La méthode nécessite de la cohésion, de la coordination et de la synchronisation, entre toutes les équipes de chirurgie.

 

« Le but est d’apporter au receveur très exactement ce qui lui manque, sur tous les tissus qui composent le membre supérieur : os et articulations, artères, veines, nerfs, muscles et tendons, couverture cutanée. Le caractère multi-tissulaire de cette greffe lui donne son nom de greffe composite », explique le Dr GAZARIAN, responsable chirurgical de l’intervention.

Ces préparations se sont déroulées de façon synchrone en deux lieux différents de l’hôpital Edouard Herriot. Elles ont été calculées de façon à limiter au maximum le temps d’ischémie des bras du donneur (ischémie : situation de privation de vascularisation). Car le pronostic de survie et de qualité fonctionnelle des tissus transplantés dépend de cette durée, en particulier pour les masses musculaires qui supportent mal une durée d’ischémie supérieure à 6 h. Pour cela, le receveur doit être prêt, avant que les bras (greffons) du donneur soient prêts à être transplantés.

La programmation des temps opératoires, qui a fait l’objet d’une préparation détaillée et répétée à de nombreuses reprises entre les chirurgien(ne)s et les infirmier(e)s au laboratoire d’anatomie de la Faculté de médecine Rockefeller, ainsi que la coordination des équipes intervenantes auprès du donneur et du receveur, ont permis la bonne synchronisation des opérations. Le temps de préparation, estimé à 4h, a finalement duré moins de 5h. 

Son niveau d’amputation se situait :  à droite, à neuf centimètres de l’extrémité supérieure de l’humérus ; à gauche immédiatement sur la tête de l’humérus, laquelle n’était pas utilisable pour la reconstruction. C’est pourquoi sur ce côté gauche, l’équipe a reconstruit l’épaule en apportant un humérus en entier.  Le patient a été installé sur un dispositif manufacturé sur-mesure, permettant de combiner sécurité d’installation pour une intervention de longue durée d’une part, et nécessité de l’abord chirurgical d’autre part.

Le conditionnement du patient pour l’anesthésie a inclus la mise en place d’une dialyse, durant toute l’intervention, pour faciliter la tolérance biologique de l’intervention dans sa durée.

L’intervention a été conduite, comme chez le donneur, par deux équipes, une par coté.

Chacun des tissus a été identifié, libéré et préparé pour recevoir les greffons (recoupe des tissus cicatriciels jusqu’en zone saine (parage)). Il s’agit de tous les tissus qui composent les membres supérieurs au niveau anatomique des moignons d’amputation : os et articulations, artères, veines, nerfs, muscles et tendons, couverture cutanée. Les nombreuses structures nerveuses ont été étiquetées pour être facilement identifiées pour les temps ultérieurs.
La préparation du receveur, conduite en parallèle de celle du donneur, a duré moins de 5 h.

Préparation du donneur

Les organes ont été prélevés chez un patient décédé qui avait donné son accord pour un don multi-organes. Ce donneur a été prélevé au pavillon V de l’hôpital Edouard Herriot. Prélèvement du côté droit, à travers l’humérus (os du bras) 9 cm centimètres en dessous de son extrémité supérieure, la tête humérale. À gauche, le prélèvement a concerné le bras en entier. L’humérus a été prélevé en entier au travers de l’articulation de l’épaule.

Au cours de la préparation chez le donneur, (il en est de même chez le receveur) toutes les structures anatomiques qui ont été transplantées ont été identifiées et préparées de façon à être raccordées chez le receveur sans délai. Les nombreuses structures nerveuses ont été étiquetées pour être facilement identifiées pour les temps ultérieurs.  Une fois détachés (début de l’ischémie) les membres ont été lavés (perfusés), par une canule introduite dans les artères axillaires avec du liquide UW hépariné à 4°C permettant d’augmenter la résistance à l’ischémie. Les greffons placés au froid et au sec ont été transportés vers le receveur au bloc opératoire du pavillon H, pavillon chirurgical de l’hôpital Edouard Herriot.

Par ailleurs, ont été prélevés chez le donneur : un péroné (os long de la jambe) pour le renforcement de la reconstruction osseuse du côté droit du receveur ; des tendons prélevés à la jambe, destinés à la reconstruction articulaire de l’épaule gauche, ainsi que des veines complémentaires pour les anastomoses (rétablissement de la continuité) veineuses éventuellement complémentaires.

Une fois les autres organes prélevés, les bras du donneur ont été remplacés par des prothèses esthétiques, mises en place pour donner au corps du donneur une apparence recevable pour son entourage, et dans le respect de sa dignité.

Le prélèvement des deux bras a duré moins de 5 h.

Transplantation proprement dite

Une fois ces étapes franchies, l’équipe du donneur a rejoint l’équipe chirurgicale et anesthésique du receveur.   

En premier lieu, c’est la reconstruction osseuse ­- trans-humérale à droite et articulaire, au niveau de l’épaule à gauche -, qui est réalisée en premier pour que les réparations des tissus mous puissent se faire sur un squelette stabilisé, avec des longueurs définies permettant les réglages adéquats.

Immédiatement après, c’est la revascularisation des membres qui est entreprise, avec la connexion (sutures) des artères et des veines. Ce temps, entrepris par les chirurgiens vasculaires, assure la survie des greffons en rétablissant l’irrigation des membres.

Ensuite, une longue période, prévue comme telle, a été nécessaire pour le raccordement des muscles et des nerfs, puis de la couverture cutanée. 

En résumé : à droite, 9 cm d’humérus ont été raccordés à l’épaule. À gauche, c’est l’intégralité de l’humérus qui a été rattaché au receveur. Au total, une quinzaine de muscles et de tendons ont été reconstruits, deux artères et trois veines, « et des nerfs en quantité », grâce à une microchirurgie sous microscope opératoire.  Cette greffe combinée des bras et des épaules constitue ainsi une première mondiale.

« Les délais de transplantation ont été courts », explique le Dr Aram GAZARIAN, responsable chirurgical de l’intervention. Soit 1h52 pour le bras droit et 2h20 pour le bras gauche, des temps d’ischémie (insuffisance d’alimentation en sang de l’organe) inférieurs au délai de six heures maximum requis en cas de greffe.

« Les greffes composites (plusieurs tissus sont greffés pour reconstituer des mains, des avant-bras, un visage, etc.) permettent de sortir d'une situation de handicap majeur, responsable d'une mort sociale. Les patients peuvent ensuite retrouver leur autonomie, au moins partiellement. Les limites de la transplantation ne cessent de reculer et les greffes composites sont en train d'ouvrir un nouveau champ de la transplantation », Pr Lionel BADET.

Immunosuppression

Le protocole immunosuppresseur d’induction a associé Thymoglobulines (ALG), Tacrolimus, Mycophenolate Mofetil et Prednisone. « Ce protocole est celui que nous utilisons pour les greffes bilatérales de membre supérieur. Le patient préalablement greffé du foie, était déjà sous immunosuppresseurs à dose d’entretien avant la transplantation de ses bras. Le protocole utilisé correspond à une augmentation de l’immunosuppression en raison du risque de rejet cutané après les greffes de tissus composites vascularisés et de notre expérience de 7 patients greffés des deux membres supérieurs, qui ont tous fait au moins un épisode de rejet aigu (réversible après traitement) », explique le Pr Emmanuel MORELON.

Ces doses seront progressivement réduites au cours de la première année de greffe en fonction de l’observation ou non d’un rejet aigu.

À ce traitement de rejet est associé un traitement prophylactique pour prévenir certaines infections virales, comme l’infection cytomégalovirus et la pneumocystose.

Rééducation

La physiothérapie passive a commencé 12h après l’intervention. La mobilisation active des muscles fléchisseurs et extenseurs commencera 15 jours après. Les rééducateurs de l’hôpital Edouard Herriot ont participé à la conception des mousses taillées sur mesure « afin de positionner le patient correctement dans son lit en respectant sa physionomie et facilitant aussi le changement des pansements », explique Nathalie TORTOSA, cadre supérieure de santé de rééducation aux Hospices Civils de Lyon. Un corset a été fabriqué également sur mesure, qui vient soutenir les bras du patient en position verticale dont les sutures tendineuses, vasculaires et musculaires demeureront fragiles quelque temps. À deux mois, électrostimulation et ergothérapie seront introduites selon le protocole mis au point par les kinésithérapeutes de l’hôpital Edouard Herriot et l’équipe du Centre de Rééducation du Val Rosay (69). Les tests de sensibilité et de motricité seront réalisés tous les mois de la première année, puis tous les 6 mois.

Immédiates et précoces

Les suites immédiates et précoces jusqu’à ce jour peuvent être qualifiées de simples et favorables. Pourtant, rien n’est encore gagné, si ce n’est la réussite de cette étape initiale. « C’est le travail préparatoire et la réalisation coordonnée, par les praticiens et équipes engagées, performantes et enthousiastes, au sein des Hospices Civils de Lyon (HCL), qui nous amènent avec notre patient déterminé et très collaboratif, jusqu’à ce point du parcours de soin qui s’inscrit dans une recherche clinique », rappelle le Pr. Lionel BADET.

Une collaboration avec la Clinique du Parc, partenaire historique des HCL

Cette intervention a été conduite dans le cadre d’une collaboration réussie entre les Hospices Civils de Lyon et la Clinique du Parc (Lyon). Cette entreprise n’aurait pu aboutir à ce stade, sans l’engagement de la clinique du Parc, partenaire historique des HCL dans ce programme, s’inscrivant dans le cadre d’une convention entre les établissements. La clinique vient en appui de l’équipe et de la logistique chirurgicale de l’hôpital Edouard Herriot. Le jour de la greffe, elle met à la disposition des infirmières et infirmiers de bloc et des chirurgiens qui se déplacent avec l’instrumentation et le matériel indispensables à leur activité. Chacune des institutions apporte ainsi des ressources et des compétences, au profit d’une activité de pointe.

De nombreux praticiens partenaires

En complément, pour l’intervention, plusieurs praticiens, chirurgiens, infirmières et rééducateurs extérieurs aux HCL, sont intervenus de façon volontaire et bénévole dans cette expérience, ainsi rendue unique.

En complément des équipes de la Clinique du Parc, l’intervention a ainsi impliqué des praticiens exerçant à l’hôpital Nord-Ouest (Villefranche-Sur-Saône), à l’hôpital Saint Luc-St Joseph (Lyon), à l’hôpital privé Jean Mermoz (Lyon), au Médipôle Lyon-Villeurbanne, à la clinique Saint-Charles (Lyon), à la clinique de la Sauvegarde (Lyon) et à l’Infirmerie Protestante (Caluire-et-Cuire). 

La prise en charge du patient se poursuivra entre l’hôpital Edouard Herriot et l’hôpital Henry Gabrielle des Hospices Civils de Lyon.

Un programme de recherche en place depuis 2010

Cette double greffe s’inscrit dans le programme de recherche DAMIE, coordonné par le Pr Lionel BADET (Double Allogreffe des Membres supérieurs : Intervention et Evaluation clinique) et de   développement des techniques de greffes à Lyon, financé par le Ministère des Solidarités et de la Santé dans le cadre d’un Protocole Hospitalier de Recherche Clinique national. 

L’objectif principal de cette recherche, est d’évaluer la récupération fonctionnelle et la qualité de vie obtenues 5 ans après une double transplantation de membres supérieurs, chez des patients bi-amputés avec au moins un niveau lésionnel au-dessus du coude. La recherche a une durée prévisionnelle totale de 10 ans (5 ans de recrutement et 5 ans de suivi) et prévoit d’inclure, en théorie, 5 patients.

Ce projet a été lauréat de l’appel d’offre PHRC National 2010 et a obtenu à ce titre un financement ministériel de 200 000 €.

Le don d'organes

La greffe de bras représente bien sûr une importante intervention technique, médicale et logistique, mais c'est également une grande aventure humaine et une occasion d'aborder le don d'organes de façon très particulière. L’ensemble des équipes impliquées dans ce projet souhaitent rappeler l’importance cruciale du don dans toute activité de transplantation, car il existe une pénurie d'organes et de tissus de tous types.

Cette activité est coordonnée, aux Hospices Civils de Lyon, par la Coordination des prélèvements d'organes et de tissus, service dédié à l'organisation de l'activité de don d'organes et de tissus, garant du bon déroulement des démarches dans un cadre légal bien défini, sous la tutelle de l'Agence de la Biomédecine. 

Le don d'organes est maintenant bien connu et accepté du grand public. Le don de tissus (peau, vaisseaux, cornées...) quant à lui, souffre d'une réputation moins "vitale" que les organes, et d'une moindre médiatisation.

Le prélèvement de bras est exceptionnel. Cette greffe "non vitale" et l'aspect "mutilant" du don de bras représentent dès lors, des freins à l'acte de prélèvement, des réticences naturelles des proches du donneur et des interrogations parmi les équipes soignantes.

Il était alors nécessaire d'associer très tôt la coordination des prélèvements à ce projet, au sein d'une équipe multidisciplinaire. Elle fut particulièrement mobilisée dans la réflexion et l'organisation autour du prélèvement. Le donneur devait être en mort cérébrale, à cœur battant, à la suite de lésions cérébrales irréversibles. La coordination devait coordonner une logistique très lourde, en concertation avec les nombreuses équipes chirurgicales responsables du prélèvement de membres et des organes vitaux, sur une durée prévisible de bloc opératoire de plus de 15 heures.

L'abord des proches était par ailleurs un enjeu majeur et a été travaillé de façon spécifique. La restitution du corps du défunt est un impératif fondamental dans cette démarche, et la réalisation de prothèses esthétiques d'une grande qualité a permis de respecter au maximum l'intégrité physique du donneur.

Après 5 ans d'attente, ce projet a enfin été rendu possible, grâce à une implication exceptionnelle et une collaboration très forte de nombreuses équipes médico-chirurgicales, mais surtout grâce à un donneur anonyme et à ses proches, sans qui rien n'aurait été possible.

« La coordination des prélèvements des HCL est fière d'avoir pu participer à cette grande aventure humaine, en s'adaptant aux lourdes contraintes techniques et médicales​, dans le respect le plus total du donneur défunt », insiste le Dr Arnaud GREGOIRE, de la Coordination des prélèvements d'organes et de tissus des HCL

Dernière mise à jour le : mer 28/09/2022 - 09:24