Jean-Marie Lacau « Il est temps d'avancer dans l'accompagnement des personnes en situation de handicap »

À la veille de la Conférence nationale du handicap, l’expérience de Jean-Marie Lacau, fondateur du réseau Lucioles dédié au handicap mental sévère, démontre l’importance de l’information et de la sensibilisation pour faire évoluer nos regards et les pratiques.

Son parcours est commun à ces parents qui, avec la naissance d’un enfant, se trouvent confrontés au handicap. Soudain, plusieurs vies basculent dans l’incertitude et commence alors un chemin semé d’embûches et d’incompréhension mais aussi de moments inoubliables et de victoires arrachées à la fatalité. 

Juliette n’a que quelques mois quand il faut se rendre à l’évidence : quelque chose cloche dans son développement. « Elle dormait très peu, ne nous suivait pas du regard… » Un proche, chirurgien pédiatrique, conseille Jean-Marie et Isabelle, déjà parents de deux enfants, de consulter un spécialiste. Ils s’adressent à un neurologue de l’hôpital Debrousse à Lyon, aujourd’hui fermé. Quelques mois après la consultation, le diagnostic tombe. Le message sur répondeur leur apprend que Juliette est atteinte du syndrome d’Angelman.  

Rompre l’isolement et agir concrètement 

« Nous sommes chavirés et terriblement seuls. » La maladie neurogénétique de leur troisième enfant n’est pas curable. Juliette ne parlera pas et ne sera jamais autonome. Elle grandit. À cinq ans, elle commence à marcher, et souffre d’épilepsie. Les crises s’enchaînent. Sont prescrits des électroencéphalogrammes (EEG) à l’hôpital Femme Mère Enfant. « Cela se passe très mal. L’heure du rendez-vous est à midi et Juliette doit dormir pendant l’examen ce que nous, parents qui connaissons très bien notre fille, sommes certains de ne pas pouvoir obtenir. Après des tentatives infructueuses pour qu’elle reste tranquille, il nous est demandé de sortir de la salle d’examen. Juliette est maintenue attachée. Elle crie, elle hurle. » 

Jean-Marie Lacau constate que de nombreuses familles avec des enfants atteints par un handicap mental sévère vivent ces mêmes scènes très éprouvantes, aussi bien pour le patient que pour son entourage. « Ces situations contre-productives peuvent induire une phobie de l’examen, le rendant impossible ». Face à ce constat et à bien d’autres, il décide de fonder une association, le réseau Lucioles, et d’agir concrètement « pour faire évoluer la prise en soin et l’accompagnement. »  

Il rencontre le neuropédiatre Vincent Des Portes et toute son équipe. Ce dernier est aujourd’hui chef du service de neurologie pédiatrique à l’hôpital Femme Mère Enfant, coordonnateur du Centre de référence des déficiences intellectuelles de causes rares et animateur de la filière nationale Défiscience. C’est ainsi qu’en 2006, le Réseau-Lucioles publie les résultats de sa première étude. « L’objectif était d’avancer sur cette idée que l’on pouvait améliorer le déroulement de l’examen de l’EEG pour les personnes handicapées en grande dépendance. » 

En 2008, paraît le fruit d’un autre travail collectif exemplaire mené entre l’hôpital Pierre Wertheimer à Lyon et l’hôpital Necker à Paris. Une vidéo, un livret d’information destiné aux parents ainsi qu’une fiche de renseignements à transmettre au centre d’examen sont conçus et mis en ligne. Désormais, Jean-Marie Lacau se consacrera aux patients, à leurs proches et aux professionnels qui les accompagnent. 

L’association dont il est l’animateur national va lui permettre de multiplier les études et les recommandations qui en résultent, souvent avec le soutien du professeur Vincent Des Portes et des professionnels de santé des Hospices Civils de Lyon, du Réseau- R4P, des familles et des professionnels du médico-social. L’étude sur le sommeil mobilise pas moins de 292 familles et 154 médecins et donne lieu à des préconisations accessibles à tous. Elle fait aussi l’objet d’une thèse de doctorat qui contribue à la diffusion de l’information dans le milieu médical. Suivra une étude sur les troubles de l’alimentation, elle aussi conçue pour être utile aux professionnels et aux aidants familiaux. 

Des solutions inspirées du terrain 

Comme tout aidant ou patient, ses connaissances des troubles et des complications liées à la maladie ou au handicap se nourrissent de son expérience personnelle. « En 2020, ma fille chute. Elle est prise en charge à l’hôpital en Haute-Savoie. Nous n’avons pas l’antiépileptique avec nous… la pharmacie de l’hôpital ne l’a pas non plus. Je cours les officines du centre-ville. La première refuse de m’en délivrer, l’ordonnance transmise par l’établissement de ma fille étant périmée. La deuxième pharmacie comprend la situation. De retour à l’hôpital, je passe la nuit avec ma fille. Je ne dors pas mais au moins j’ai les médicaments. »  

Le parcours de santé de la personne en situation de handicap n’a rien de facile. Les équipes hospitalières n’y sont pas toutes préparées. La présence de l’aidant est souvent nécessaire pour que le soin se déroule normalement.  

« En 2019, Juliette doit faire une gastroscopie. Je prends rendez-vous dans un centre hospitalier. Je précise que l’examen ne peut se faire que sous anesthésie générale. La secrétaire qui n’a probablement pas été sensibilisée au handicap me soutient que tout va bien se passer. Quand l’équipe soignante arrive dans la salle d’examen et voit Juliette, elle se rend compte que ça ne va pas être possible. » 

Cette expérience renforce la conviction du père de Juliette sur la nécessité du livre et, par la suite, le site internet, Lulu va être opérée. Là encore, ce projet, soutenu entre autres par l’Agence régionale de santé, est mené avec des experts dont des médecins des Hospices Civils de Lyon. « L’expérience prouve que des solutions existent, qui devraient inspirer les soignants, les professionnels des établissements médico-sociaux et les aidants pour améliorer le parcours chirurgical, et plus largement le parcours de soin, des personnes en grande dépendance. » Ce projet éditorial de sensibilisation et d’information a reçu le Prix de la revue Prescrire 2021 et les trophées de la E-Santé 2021… Une reconnaissance pour tous ceux qui œuvrent à l’amélioration de l’accompagnement du handicap en France. 

Prendre la mesure des besoins 

« Encore trop souvent, l’accès au soin des personnes handicapées dépend de la bonne volonté des personnes. Peu de choses sont mises en place, souvent nous sommes confrontés au néant. En tant que parents d’un adulte, nous vivons dans l’inconnu de l’après. Nous avons tous été informés du scandale des EPHAD. Il se passe des situations identiques dans les établissements spécialisés pour le handicap, par manque de moyens dignes et à la mesure des besoins. Il est évident qu’il faut réévaluer ces métiers du soin et du médico-social. Les professionnels quittent leur emploi non pas parce qu’ils ne l’aiment plus mais parce qu’ils ne veulent pas devenir maltraitants à cause du manque de moyens. » Et de conclure : « Il est temps d’avancer dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap. » 

Dernière mise à jour le : ven 12/05/2023 - 09:01
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Jean-Marie Lacau
Jean-Marie Lacau est père aidant et fondateur du réseau Lucioles dédié au handicap mental sévère.

 

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