Une maison pour toutes les femmes victimes de violences
Elles sont quatre, ce matin, à pousser la porte de la Maison des Femmes de Lyon. Leur âge varie, leurs origines sociales, économiques et culturelles aussi. Mais une réalité les rassemble : toutes sont confrontées à la violence. Ici, elles ne sont plus seules. Une équipe pluridisciplinaire se tient prête à écouter ce qui parfois ne peut se dire qu’après un long silence : une assistante médico-administrative pour les accueillir, expliquer le déroulement de la matinée ; une infirmière coordinatrice pour orchestrer leur parcours de soins ; un médecin légiste pour constater les blessures ; une travailleuse sociale pour démêler la complexité du quotidien ; une psychologue pour soutenir et apaiser ; une juriste pour éclairer les droits trop souvent ignorés ; une sage-femme attentive aux corps parfois blessés ; et, en cas de plainte, des officiers de police judiciaire. Ouvert fin septembre 2024, inauguré officiellement le 25 novembre dernier avec l’ensemble des institutions partenaires, ce nouveau lieu d’accueil implanté à l’hôpital Édouard Herriot prend en charge les femmes victimes de tous types de violences, quel que soit le contexte familial ou professionnel.
Créée à Saint-Denis et rattachée à l’hôpital Delafontaine, la première Maison des femmes a vu le jour en juillet 2016. La France en compte aujourd’hui près d’une trentaine, toutes conçues sur un même objectif : être un lieu protecteur et sécurisant, qui s’inscrit dans une démarche nationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Le constat parle de lui-même : en 2022, 373 000 femmes en France ont été victimes de violences physiques, sexuelles, psychologiques ou verbales commises par leur conjoint ou ex-conjoint1. Seules 16 % des femmes victimes de violences ont déclaré avoir déposé une plainte. En 2023, 93 femmes ont été victimes de féminicides, soit près d’une personne qui meurt tous les quatre jours du seul fait d’être née femme.
Redonner le pouvoir d’agir
« Jusqu’alors, les femmes victimes de violences devaient se rendre dans différents endroits pour être prises en charge par les professionnels de santé, les travailleurs sociaux du territoire et les associations partenaires. Dorénavant, elles ont la possibilité d’être accueillies dans un lieu unique sécurisé, hospitalier et associatif, sur adressage des services hospitaliers et de ces mêmes professionnels du territoire avec lesquels nous collaborons en toute fluidité », indique le Dr Édouard Bontoux, responsable médical de la Maison des Femmes de Lyon et chef adjoint du service de médecine légale des HCL.

L’unité de temps et de lieu évite aux victimes de devoir répéter plusieurs fois leur histoire et donc de revivre à chaque fois le traumatisme, raccourcit les délais de prise en charge, et facilite les échanges entre professionnels. Le cadre apaise, rassure et préserve l’intimité des victimes. Des espaces ont été aménagés pour accueillir les enfants.

La prise en charge commence par une matinée d’évaluation durant laquelle les victimes sont suivies par une équipe expérimentée qui s’adapte à leur rythme et à leurs besoins. Cet accompagnement individualisé donne accès à des ressources essentielles qui vont progressivement permettre aux victimes de se réapproprier leur vie et de s’extraire de la situation de violence. « Nous permettons à chacune de remobiliser ses propres ressources pour restaurer son pouvoir d’agir », explique Fanny Asselineau, directrice du collectif associatif Maison des femmes. « Notre accompagnement participe du processus de conscientisation des violences », complète le Dr Édouard Bontoux. Entre novembre 2024 et février 2025, près d’une centaine de femmes, âgées de 19 à plus de 70 ans, ont franchi le seuil de la Maison des Femmes de Lyon.
Des ressources et des besoins
Madame M. entame son parcours à 9h30. Dans la poussette, sa petite fille d’un an babille, distribuant des sourires aux visages qu’elle croise. À l’accueil, Olivia lui explique le déroulement de la matinée. L’assistante médico-administrative, attentive au moindre signe, fait preuve d’empathie. « Une femme très en retrait ou, au contraire, une femme qui parle beaucoup, peut exprimer de la colère ou simplement un besoin de se confier », indique-t-elle.

Madame M. a été orientée par Le Mas (mouvement d’action sociale), une association lyonnaise d’aide aux personnes vulnérables. Mère de deux enfants, elle est venue demander un suivi psychologique et un certificat médical. Bérangère, infirmière coordinatrice, prend le relais. Elle s’assure que Madame M. comprend le rôle de la Maison des Femmes de Lyon et les ressources qu’elle peut y trouver. Son consentement est recueilli pour les différents entretiens. Tout se fera dans le respect de la confidentialité et une synthèse de cette matinée lui sera restituée : l’objectif est de poser avec elle les premières pierres d’un accompagnement personnalisé.
Madame M. a porté plainte. Son dossier a été classé sans suite. Faute de preuves. L’absence de reconnaissance judiciaire la plonge un peu plus dans l’isolement. Les violences psychologiques, insidieuses et difficiles à attester, laissent pourtant des traces profondes. Dans le box de consultation, les mots peinent d’abord à franchir ses lèvres. Élisa, psychologue, attend, laisse l’espace nécessaire, respecte la temporalité de sa patiente. Derrière les silences, le traumatisme affleure. Peu à peu, Madame M. dessine un contexte conjugal toxique, une emprise d’autant plus étouffante qu’elle est sans emploi. Une heure s’écoule. À la fin de la consultation, Élisa lui propose un suivi pour documenter les répercussions psychiques des violences subies. Madame M. acquiesce.

La psychologue traverse le couloir pour rejoindre la Dr Marie Epain, médecin légiste. Cette dernière ira un peu plus loin dans la compréhension du vécu traumatique. Insultes, rabaissements, dénigrements, intimidations, chantage financier et sexuel, violences physiques sporadiques… Le vécu relaté par Madame M. révèle des couches de complexité, fréquentes dans ce genre de situation. Le certificat médico-légal qui sera rédigé rejoindra son dossier, un élément essentiel en cas de nouveau dépôt de plainte. Au-delà de l’appui juridique, c’est un pas de plus vers sa reconstruction qui a été franchi.
Dans cet espace sécurisant, les femmes ont la possibilité de déposer plainte. Ce sont les policiers qui se déplacent. Ce matin-là, deux officiers de police judiciaire sont présents. « Il est indispensable de mettre la victime en confiance pour recueillir un maximum d’informations. Les attentes sont souvent fortes mais pas toujours satisfaites. C’est pourquoi nous travaillons en lien étroit avec les associations d’aide aux victimes. La Maison des Femmes de Lyon facilite cette proximité et fait gagner un temps précieux », partage Ornella, policière spécialiste des crimes portant atteinte aux personnes.
L’espoir d’une vie sereine
La matinée touche à sa fin. Madame M. s’apprête à repartir. Vers ce foyer qui pour l’instant n’est pas un refuge mais une zone d’insécurité. Le logement est « une question prépondérante pour les femmes victimes de violences », soulignent Carlotta, travailleuse sociale, et Chloé, juriste. En cas de danger imminent, une mise en sécurité peut être organisée en lien avec la police et l’association Viffil2. Individuellement ou en binôme, elles accompagnent les victimes, offrant ainsi un double regard sur des situations souvent complexes. L’accès à l’hébergement reste l’une des principales difficultés. Pour pallier ce manque, elles collaborent étroitement avec la Maison de la veille sociale qui centralise les demandes d’hébergement à Lyon, en veillant à prendre en compte les réalités familiales, notamment la présence d’enfants.
« La Maison des Femmes de Lyon renforce le maillage territorial et évite la rupture dans le parcours de soin en s’articulant avec les acteurs du milieu médical et psychosocial », complète Bérangère, infirmière coordinatrice.
C’est aussi un lieu de ressources pour les professionnels, en les soutenant dans le repérage, la prise en charge et l’orientation des femmes victimes de violences sur le territoire. Un accompagnement d’autant plus nécessaire que « le taux de suicide des victimes de violences est cinq fois supérieur à celui de la population générale », souligne la Dr Isabelle Nahmani, psychiatre et médecin légiste du service de médecine légale des HCL.
Après sept ans sans travailler, Madame M. veut retrouver un emploi. C’est un projet professionnel, et c’est surtout une échappatoire, une clé pour briser l’enfermement. Aujourd’hui, on peut penser qu’un nouvel espoir l’accompagne. Elle n’est plus seule. À ses côtés, une équipe entière s’est mobilisée. Pour sa santé mentale, pour son avenir, pour qu’un jour la peur cède la place à la sérénité. Et aussi pour que la honte et le sentiment de culpabilité changent de camp.
1. Arretonslesviolences.gouv.fr
2. Association qui vient en aide aux femmes victimes de violences conjugales et à toute personne victime d'infraction.
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