Quand la médecine éclaire la justice

À la croisée de deux univers, la médecine légale réalise des actes médicaux à la demande de la justice. Essentiellement connue pour son activité thanatologique, elle prend également soin des vivants au sein des unités médico-judiciaires.

Bureau des psychologues de l'UMJ

Un bureau en verre qui laisse apercevoir un tapis chatoyant, une table d’examen sur laquelle sont posés un stéthoscope, un coussin orange et un rayon de soleil printanier, une toise, des photos souvenirs et des livres. Beaucoup de livres. Dans ce décor chaleureux et réconfortant, le docteur Hervé Fabrizi, médecin légiste responsable des unités médico-judiciaires (UMJ) majeurs et mineurs, reçoit ses patients, essentiellement des victimes de violences (conjugales, familiales, sexuelles, scolaires), d’agressions, d’attentats... « Notre quotidien est rude. Nous ne faisons pas dans le glamour», énonce en préambule le docteur Fabrizi.

Une médecine de la violence

Nous sommes au premier étage du bâtiment 10 de l’hôpital Edouard Herriot, au cœur de deux des 48 unités médico-judiciaires de France, des structures hospitalières financées sur les crédits de l’État issus du ministère de la Justice. Ici est accueillie toute personne, majeure ou mineure, victime de violences volontaires ou involontaires, pour laquelle une procédure judiciaire est en cours. « Nous intervenons uniquement sur réquisition judiciaire », précise le docteur Fabrizi, « c’est-à-dire à la demande d’un officier de police judiciaire ou du procureur de la République.» Les UMJ de Lyon sont adossées à l’Institut médico-légal (IML) et travaillent en étroite collaboration avec le Centre régional du psycho-traumatisme (CRP) placé sous la responsabilité de la Dr Nathalie Priéto.

Ces quatre entités, regroupées depuis juillet 2019 au sein de l'hôpital Edouard Herriot, composent le service de médecine légale des HCL, dirigé par le professeur Laurent Fanton.

« Contrairement aux représentations communes, la médecine légale ne se résume pas à la thanatologie et aux autopsies », précise ce dernier. « Nous nous occupons plus des vivants que des morts. »

Ainsi, en 2019, 3 800 personnes (dont un tiers de mineurs), ont été examinées aux UMJ, quand mille autopsies ont été pratiquées à l’IML.

Ce vendredi, comme tous les jours, les neuf médecins et les deux psychologues cliniciennes, qui se relaient dans le service ouvert du lundi au vendredi, de 8h30 à 18h30, accueillent, écoutent, examinent, rendent compte, accompagnent... Ils se tiennent également prêts à intervenir au chevet du patient. En effet, si la victime gravement blessée est admise dans un service hospitalier, les enquêteurs peuvent demander au médecin légiste de se déplacer pour pratiquer les examens nécessaires à l’établissement d’un certificat médical et de l’ITT (incapacité totale de travail). Parmi les victimes du jour, deux à trois viendront pour des violences sexuelles (800 plaignants par an), certaines seront des enfants accueillis dans l’unité vert pastel qui leur est dédiée. Sarah Brun, l’une des deux psychologues, a d’ailleurs rendez-vous avec un jeune patient qu’elle recevra seule pour éviter aux parents d’avoir à entendre des faits parfois sordides ou que l’enfant pourrait hésiter à raconter pour ne pas leur faire de peine.

Des auxiliaires de justice

Pour ne pas ajouter de la brutalité à la violence, les conditions d’accueil des victimes ont été particulièrement soignées. Ainsi, la salle d’attente, agrémentée de plantes vertes, dispose d’un paravent derrière lequel les victimes peuvent se réfugier pour se soustraire au regard des autres ; un box sécurisé et isolé pour les gardés à vue communique directement avec l’un des trois bureaux de consultation « afin d’éviter tout contact éventuel avec des victimes » ; dans la salle d’examens gynécologiques, un espace a été aménagé pour que les femmes puissent se dévêtir en toute intimité avant l’examen médico-légal qui, dans le cas d’un viol, peut prendre jusqu’à deux à trois heures, le temps de les mettre en confiance, de les examiner et d’effectuer tous les prélèvements nécessaires. Placées sous scellés, ces pièces à conviction seront ensuite examinées dans le laboratoire de la police scientifique basé à Écully. Examens physiques, gynécologiques, évaluation du retentissement psychologique, description précise et photographie des lésions, prélèvements... toute consultation à l’UMJ donne lieu à la rédaction, dans les quatre heures, d’un certificat médical transmis aux enquêteurs et versé au dossier pénal. Une tâche infiniment délicate car la précision des constatations médicales est déterminante pour les magistrats et les mots lourds de conséquences judiciaires. Plus une affaire est complexe, plus les constatations doivent être solides pour ne souffrir aucune interprétation. « La qualité des certificats initiaux est fondamentale car la justice va s’appuyer dessus pour rendre ses conclusions parfois deux à trois ans après le dépôt de plainte » (délai moyen d’instruction et d’audiencement, ndlr), précise le Dr Fabrizi. « C’est donc un travail très minutieux qui ne laisse aucune place aux émotions. » Après l’examen, une consultation psychologique est systématiquement proposée aux victimes pour évaluer le retentissement psychotraumatique des faits et les adresser à des services compétents.

Innover sur la prise en charge

Pour améliorer la prise en charge des personnes victimes de violences sexuelles, depuis quelques mois, un protocole de rappel systématique a été mis en place dans les cinq à dix jours suivant la commission des faits. «Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait au Canada et sommes, aujourd’hui, l’un des rares CHU de France à avoir adopté ce système qui permet de “re” capter les victimes», détaille Sarah Brun, psychologue clinicienne. « Lors de cet entretien téléphonique, les personnes sont plus à même d’évoquer les répercussions psychologiques des faits et d’accepter un accompagnement spécifique.» Depuis le 12 mars, des groupes de parole sont également proposés aux victimes de violences conjugales.

« La recherche doit devenir un axe fort du service de médecine légale », renchérit le professeur Fanton. « En lien avec Samuel Demarchi, enseignant-chercheur au laboratoire CHArt (Cognition humaine et artificielle) de l’université Paris 8 et spécialiste en psychologie forensique, le CRP et le CHU de Grenoble, sont notamment développées des études sur les mythes concernant les violences conjugales et sexuelles, pour mieux en comprendre les mécanismes cognitifs. À terme, elles pourraient aussi permettre d’envisager une prévention primaire.» Pour que les vivants le restent.

Découvrez les prises en charge de la médecine légale en vidéos
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- Prise en charge des victimes de violence à l'hôpital Edouard herriot
- Parcours des victimes de violences
- L'institut de médecine légale de Lyon

Dernière mise à jour le : mar 01/08/2023 - 17:56
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