Il était une fois… une transplantation
Impliquant l’action coordonnée de nombreux professionnels, de médecins et de chirurgiens experts, la transplantation hépatique est, en France, l’apanage des centres universitaires. Les HCL qui figurent parmi les quelques CHU autorisés à pratiquer des greffes de foie sont, en région, l’unique établissement habilité pour les transplantations hépatiques pédiatrique et celles à donneur vivant. Une intervention exceptionnelle et émouvante dont nous vous dévoilons les coulisses.
Reportages photo ⇩ (images de chirurgie)
« Purge dans cinq minutes ». À l’annonce du chirurgien, la tension monte d’un cran dans le bloc de l’HFME où, depuis plus de cinq heures déjà, se déroule une transplantation hépatique pédiatrique rare, avec donneur vivant. Il est 14h11, c’est le premier jour de l’été, dehors la vie bat son plein, tandis qu’ici elle semble suspendue à un fil. Équipés de loupes binoculaires, le Pr Kayvan Mohkam et le Dr Rémi Dubois, deux chirurgiens experts de la greffe de foie adulte et pédiatrique (ils sont moins d’une dizaine en France), terminent le long et méticuleux travail d’anastomoses vasculaires. Même concentration du côté des anesthésistes qui surveillent les modifications hémodynamiques de Margaux*, une petite fille de 4 ans et demi. 14h18, la phase la plus délicate commence : la revascularisation du lobe de foie implanté. « Déclampage ». Sous nos yeux, le miracle se produit. De nouveau alimenté par la veine porte, le lobe de foie prélevé chez le donneur il y a quelques heures, reprend des couleurs.
Une opération à part
Véritable exploit médical, la transplantation hépatique à partir d’un donneur vivant – réalisée pour la première fois en France, à l’hôpital Edouard Herriot, en juillet 1992 – qui permet à une personne en bonne santé de donner une partie de son foie à un proche nécessitant une greffe -, reste exceptionnelle dans l’Hexagone. « Ce type de greffes, imaginées pour faire face à la pénurie de greffons, est le seul cas où l’on opère quelqu’un qui est parfaitement sain », expose le Pr Kayvan Mohkam rencontré en amont de l’opération. « Un décès n’est pas acceptable. » Avant de préciser : « Aux HCL, sur les douze derniers mois, c’est la sixième transplantation avec donneur vivant que nous réalisons » (depuis janvier 2022, 17 greffes de foie pédiatriques ont été effectuées et 7 enfants sont en liste d’attente).
Grâce à sa fabuleuse capacité de régénération, le foie divisé se reconstituera, chez le donneur comme chez le receveur, jusqu’à atteindre le volume nécessaire à son bon fonctionnement. C’est ce don particulièrement encadré, autorisé uniquement entre personnes proches d’une même famille (enfants, parents, conjoints), qui permet aujourd’hui à Margaux, atteinte d’une insuffisance hépatique consécutive à une atrésie des voies biliaires congénitale, de recevoir une partie du foie de sa mère. Et d’entrevoir un avenir.
Ce lundi de juin, deux interventions simultanées vont mobiliser, pendant plus de dix heures, deux équipes de médicaux et soignants, sur deux sites différents : le prélèvement d’une partie du foie de la mère à la Croix-Rousse, centre de référence pour la transplantation hépatique, et la greffe à l’HFME, centre de référence de l’atrésie des voies biliaires.
Un don de soi
Tôt le matin, au premier étage de l’HFME, dans le bloc opératoire où va se dérouler la greffe, le décor se met en place. Au centre de la pièce, Margaux déjà endormie, est soigneusement préparée pour le grand jour. « Avec ce type d’opération qui demande beaucoup d’efforts au cœur, c’est davantage de la réa peropératoire que de l’anesthésie », indique la Dr Catherine Boucaud-Le Brun, anesthésiste-réanimateur qui sera épaulée par un confère venu se former aux techniques spécifiques de la greffe hépatique. Dans l’espace réduit du bloc, les infirmières de blocs (Ibode) qui installent le matériel sur un champ stérile – plus de 50 instruments, écarteurs et autres dispositifs - et les infirmières anesthésistes (Iade) qui « techniquent » l’enfant, se croisent et se recroisent, veillant à ce que tout soit prêt pour cet acte chirurgical lourd et complexe.
9h40, à la Croix-Rousse, dans le service du Pr Jean-Yves Mabrut, les chirurgiens s’apprêtent à prélever la partie gauche du foie de la maman de Margaux. L’hépatectomie durera trois heures trente pendant laquelle les chirurgiens réaliseront le partage du foie in situ en sectionnant le parenchyme (les tissus assurant la fonction hépatique) à cœur battant, veillant à ce que le temps d’ischémie soit le plus court possible afin que « l’hémi-foie » prélevé puisse reprendre le plus rapidement possible ses fonctions.
9h45, à l’HFME le Pr Kayvan Mohkam, chirurgien hépato-biliaire et pancréatique et le Dr Rémi Dubois, chirurgien viscéral pédiatrique, se préparent rejoints par la Dr Sarah Amar, également chirurgien viscérale pédiatrique. Avertis que le prélèvement a commencé et que « tout va bien », c’est-à-dire que le foie du donneur est en bon état, ils estiment que le greffon devrait leur parvenir entre 13 et 14 heures. Gaz du sang, hémoglobine, iono… une dernière biochimie est demandée, les informations préopératoires sont données et Nathalie compte les textiles « pour ne pas risquer d’en oublier un », nous souffle-t-elle concentrée.
Une double opération
10h14. Dans un léger crépitement, le bistouri électrique dessine un L sur l’abdomen de la fillette seule partie de son corps, avec une petite main perfusée, qui émerge du champ opératoire. L’incision faite, des écarteurs nécessaires pour retirer l’organe le plus volumineux du corps humain, sont posés et délicatement, les chirurgiens accèdent au foie. Peu de paroles sont échangées. Chacun connaît son rôle sur le bout des doigts. En l’occurrence, isoler et contrôler l’ensemble des vaisseaux et conduits qui entrent et sortent du foie du Margaux : artère hépatique, veine porte hépatique, conduit biliaire et vaisseaux biliaires. Ensuite, libérer son foie de toutes ses attaches ligamentaires en limitant le risque de pertes sanguines malgré les nombreuses adhérences liées aux interventions antérieures, la fillette ayant déjà été greffée au Kremlin-Bicêtre un an après sa naissance. « On imaginait que ce serait plus difficile », constatera le Dr Rémi Dubois au terme de la journée. « Mais c’était plutôt moins hostile. » Maria, une interne roumaine, venue se former épie tous les gestes : « On ne pratique pas ce type de greffe en Roumanie ».
12 heures. Le téléphone sonne. C’est le bloc de la Croix-Rousse. « Si le risque te semble acceptable, tu y vas », répond le Pr Kayvan Mohkam à son collègue avant de poursuivre la dissection. Et d’informer ses confères que le greffon prélevé présente deux artères, une particularité anatomique avec laquelle ils vont devoir composer. « Dans ce genre d’intervention, il faut sans cesse s’adapter », confirme-t-il. L’adaptation, un maître-mot chez les anesthésistes aussi : « Les manipulations du foie ont des répercussions sur les équilibres hémostatiques et dynamiques », explique la Dr Catherine Boucaud-Le Brun soulignant l’importance de se concerter avec les chirurgiens. « C’est essentiel de bien connaître l’intervention pour pouvoir anticiper, sinon c’est trop tard. » Hémostase, drainage, fermeture… à la Croix-Rousse, l’intervention touche à sa fin pour la maman. En un mois son foie va se régénérer, atteindre un volume normal et retrouver ses fonctions. Quant au greffon retiré, il a été plongé dans un liquide spécial et placé dans une glacière en partance vers l’HFME.
Une course contre la montre
13h08. Le greffon vient d’arriver. Emmanuelle, l’Ibode aux crocs vertes vérifie attentivement l’intégrité du conditionnement et prélève du liquide de conservation. 13h15. Les équipes se préparent à vivre les minutes les plus longues et les plus intenses de la journée. Après l’explantation du foie, l’organisme de Margaux va en effet se retrouver dépourvu de fonction hépatique. Une phase d’anhépatie qui ne doit pas excéder 2 à 3 heures. « L’urgence sera de revasculariser », a insisté le Pr Kayvan Mohkam le matin même. « Clampage ». « Je lance le chrono. » Il est 13h30. Cela fait plus de 3 heures que la petite fille a été incisée. Trois paires d’yeux examinent longuement le greffon. « Appelez le professeur Mabrut. » L’échange entre les confrères est bref. L’intervention reprend. 13h41, le foie malade est retiré, pesé – « 419 grammes » - et préparé pour partir en anapath’. Le greffon parfaitement compatible et d’un poids de 210 grammes, suffisant au regard de la corpulence de Margaux, est placé dans la cavité abdominale pour que les chirurgiens réalisent les anastomoses qui permettront de reconnecter les vaisseaux et la voie biliaire du greffon sur ceux du receveur, en commençant par la veine cave puis la veine porte.
14h11. « Purge dans cinq minutes », annonce le chirurgien indiquant que le foie va être purgé avec une solution de sels minéraux, avant de remettre en circuit la veine cave puis la veine porte, progressivement déclampée. À cet instant, le sang circule à nouveau normalement à travers le foie : il arrive par la veine porte et est drainé par les veines sus-hépatiques dans la veine cave et le cœur. L'ischémie du greffon et l'anhépatie prennent fin. « Comment est le flux dans la veine porte », s’enquiert l’anesthésiste ? Une échographie de contrôle pour vérifier que le foie « pulse bien » rassurera les équipes. Désormais, si le temps presse moins l’accalmie n’est pas encore en vue.
Une renaissance
Le silence s’installe à nouveau tandis que les chirurgiens procèdent à la suture la plus délicate : l’anastomose de l’artère hépatique permettant de reconnecter la ou les artères du greffon sur le réseau artériel de Margaux. Une étape cruciale pour le bon fonctionnement du greffon et la viabilité biliaire. 14h55, l’artère est déclampée. « On est à 1h31 », décompte l’anesthésiste. Les chirurgiens soufflent, changent de gants et demandent à baisser la lumière pour réaliser eux même une échographie du greffon, permettant de vérifier le bon fonctionnement de tous les vaisseaux. Ils continuent ensuite par la reconstruction des deux voies biliaires. Car à ce niveau-là aussi, le greffon présente une particularité anatomique qui rend la reconstruction encore plus difficile… Parfaitement rodé, le ballet des Iade et des Ibode qui anticipent chaque geste des chirurgiens reprend tandis que neufs mains prolongées par des pinces façon Edward aux mains d’agent virevoltent suturant encore et toujours.
16h00. Le greffon réimplanté, une hémostase minutieuse est réalisée pour arrêter tous les petits saignements à l’aide d’un bistouri à argon. La Dr Noémie Laverdure, pédiatre cheffe de service adjointe d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition pédiatrique de l’HFME, venue prendre des nouvelles de sa patiente est rassurée. Elle discute maintenant avec les anesthésistes de la prise en charge postopératoire, à commencer par l’immunosuppression instituée dès le début de la phase d’anhépatie et que Margaux devra prendre à vie pour éviter tout risque de rejet. « Il est franchement joli et rosé », observe dans le même temps l’un des chirurgiens avant qu’un ultime contrôle échographique, à 16h34, confirme la bonne perméabilité des vaisseaux hépatiques.
L’atmosphère se détend instantanément. Pose de drains pour évacuer les liquides et les sécrétions qui peuvent s’accumuler autour du foie, d’une sonde de gastrostomie pour la mise en place de la nutrition entérale, fermeture de la paroi abdominale en prenant soin de recoudre tous les plans musculaires un par un, la greffe est terminée. L’opération est un succès et même si la route est encore longue, le papa de Margaux, prévenu que tout s’est bien passé, peut respirer. Il est 17h20, dehors le soleil brille. Aujourd’hui, grâce à l’expertise des HCL, une mère a donné naissance une deuxième fois à sa fille.
*Le prénom a été changé.
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> Focus sur l'hépatologie à Lyon, en partenariat avec l'université Claude Bernard Lyon 1
L’émergence de l’axe hépatologie à Lyon repose sur un solide historique sur les hépatites virales, mais aussi sur des expertises de niveau international sur les maladies métaboliques (maladie du foie gras), les pathologies alcooliques, les cancers, la transplantation hépatique… Les équipes cliniques associées aux chercheurs de l’université Claude Bernard Lyon 1 travaillent main dans la main pour proposer des solutions innovantes et optimisées pour chaque patient, adulte et enfant, des HCL. L’intégration de la recherche et des soins d’excellence permet une prise en charge unique pour toutes les pathologies du foie.