Un service pour l’enfance maltraitée
Elle s’avance timidement dans la pénombre du couloir, vêtue d’un pantalon bleu et d’un haut assorti réchauffé par une veste crème. À ses côtés, suivant les empreintes d’ours dessinées au sol, une infirmière attentionnée la guide jusqu’à un petit bureau médical baigné de lumière. Elle doit avoir une douzaine d’années. Quand la Dr Tiphaine Guinet, médecin légiste l’accueille et lui explique rapidement comment va se dérouler cette fin de matinée, elle acquiesce en silence.
De l’histoire qui l’a amenée ici, nous ne saurons rien. Peu importe. Ce qui compte maintenant, c’est que Clara1, hospitalisée depuis quelques jours à l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD), va pouvoir bénéficier de l’expertise et de l’expérience d’une équipe pluridisciplinaire.
Structurer un parcours adapté
Nous sommes au rez-de-chaussée de l’hôpital Femme Mère Enfant, sur le plateau des consultations pédiatriques, à l’unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED). Ouverte début novembre 2023, inaugurée officiellement le 19 décembre avec l’ensemble des institutions partenaires, cette toute nouvelle unité d’accueil pédiatrique des enfants en danger prend en charge les mineurs victimes de violences, maltraitances ou négligences.
Déployées dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants lancé en novembre 2019 par le secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet, les UAPED regroupent en un lieu unique, protecteur, sécurisant et aménagé, l’ensemble des ressources permettant de coordonner les principaux volets de la prise en charge et de recueillir la parole de l’enfant dans les meilleures conditions possibles : pédiatrique, médico légale, psychologique, sociale et judiciaire, avec une salle d’audition filmée. Il existe à ce jour une centaine d’unités de ce genre en France, dont deux sont installées dans le Rhône, à Villefranche-sur-Saône et à Lyon, au sein des HCL.
« Jusqu’à présent, les mineurs susceptibles d’être victimes de violences ou exposés à des violences étaient auditionnés à la police ou à la gendarmerie, puis étaient vus à l’unité médico-judiciaire d’Edouard Herriot pour l’examen médico-légal et, si la situation le nécessitait, ils étaient pris en charge », observe Gaëlle Beaucourt, cadre socio-éducatif et coanimatrice, avec la Dr Gougne, pédiatre, des activités de protection de l’enfance à l’hôpital Femme Mère Enfant. Un parcours contraignant pour l’enfant, obligé de répéter plusieurs fois son histoire, ce qui réactive le traumatisme. « Désormais, tout sera fluidifié », se félicite Gaëlle Beaucourt. « Les enfants sont accueillis dans un lieu unique et ce sont les professionnels qui se déplacent. »
L’enfant au centre du parcours
Le parcours de Clara a débuté il y a un gros quart d’heure dans la salle technique 1 (une audition dure de 20 à 40 minutes, parfois plus selon l’âge et les situations). Cette pièce insonorisée, à la décoration d’inspiration montagnarde savamment étudiée, pour apaiser les enfants sans les distraire et qu’ils restent concentrés sur les questions des enquêteurs, est équipée d’une glace sans tain, derrière laquelle se loge un bureau équipé d’une borne d’enregistrement, d’une caméra et d’oreillettes. Un matériel qui permettra de recueillir et d’enregistrer la parole de l’enfant.
« Notre rôle est d’apporter une réponse adaptée aux besoins des enfants victimes tout en conciliant ceux de l’enquête préliminaire », précise la Dr Magali Gougne, qui rappelle que les enfants ont été orientés vers l’UAPED sur décision du procureur de la République ou du juge d’instruction, à la suite d’une plainte ou d’un signalement, dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une instruction.
« Ces enregistrements sont une pièce centrale du dossier dans les procès », complète la Dr Tiphaine Guinet, médecin-légiste, qui précise que cette salle d’audition est ouverte tous les jours.
Une fois l’audition terminée, c’est elle qui rencontrera la jeune fille dans le bureau médical voisin pour un entretien mené en binôme avec la Dr Pauline Espi, pédopsychiatre, et un examen médico-légal. « Passer par le soin est essentiel », souligne la médecin-légiste. « Cela permet de libérer la parole et de se réapproprier son corps. » Au total, Clara passera une petite demi journée à l’UAPED.
Si une prise en charge médicale et/ou psychologique s’avère nécessaire, l’enfant et sa famille seront orientés vers les structures spécialisées adéquates. Une mesure de protection demandée par le procureur pourra également être mise en place.
Un service qui change tout
Rattachée au service d’accueil des urgences et de réanimation pédiatriques de l’hôpital Femme Mère Enfant, l’UAPED est un service fonctionnel qui ne fonctionne que deux jours par semaine, auxquels s’ajoute une demi-journée de temps d’équipe. « Tout le personnel est à mi-temps, sauf la médecin légiste à 20 % », précise Gaëlle Beaucourt. C’est une avancée considérable. « Cette structure rend possible ce qui était grandement nécessaire. Ça change tout », se félicite la Dr Magali Gougne, qui partage son temps entre l’UAPED et les urgences pédiatriques. « Pendant quinze ans, nous avons œuvré sans reconnaissance ni budget grâce à la bonne volonté d’une poignée de professionnels investis dans la protection de l’enfance. Aujourd’hui nous avons un temps et un lieu pour l’évaluation pluridisciplinaire au plus juste de la situation des enfants. C’est beaucoup mieux pour eux. » « Nous ne pouvons pas absorber toutes les demandes et nous accueillons en priorité les violences sexuelles et les maltraitances les plus graves, qui nous sont adressées par le Parquet », regrette néanmoins la Dr Tiphaine Guinet, rappelant que, chaque année, près de mille enfants en danger potentiel transitent par l’unité médico-judiciaire de l'hôpital Edouard Herriot.
Depuis son ouverture, le service accueille environ cinq enfants par semaine. Des enfants qui auront une chance de se reconstruire.
« La reconnaissance précoce et la prise en charge au plus tôt des situations de maltraitance sont une absolue nécessité », martèle la Dr Gougne. « Le psycho-traumatisme induit par la maltraitance affecte toute une vie. Il entraîne des syndromes dépressifs, des troubles psychologiques, du diabète, du stress… Le coût sociétal d’une mauvaise prise en charge est donc très important. »
Expertise et expérience
Comme chaque mardi, l’après-midi sera consacrée à la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Un temps durant lequel l’ensemble de l’équipe (assistante sociale, pédiatre, pédopsychiatre, médecin légiste et psychologue), que peuvent rejoindre tous les professionnels des HCL qui le souhaitent, étudie entre deux et quatre dossiers. À l’issue de cette RCP, un avis est formulé. Il peut déboucher sur un signalement ou sur une prise en charge à l’UAPED. Les demandes adressées par mail via un formulaire spécifique mais qui ne nécessitent pas d’être étudiées en RCP feront l’objet d’une réponse par mail également.
« Nous ne proposons pas une simple orientation », précise la Dr Gougne. « Notre rôle est de faire le lien avec les bonnes personnes en nous mettant en soutien des professionnels de santé qui peuvent nous solliciter. » Parce que si on ne sait pas, on ne voit pas, l’UAPED va proposer des formations au sein des HCL destinées à aider les professionnels à détecter les cas de maltraitance. « La protection de l’enfance est l’affaire de tous », conclut Gaëlle Beaucourt, « on peut toujours faire quelque chose. »
1 Le prénom a été changé
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Fruit d’un partenariat entre l’Autorité judiciaire, l’Agence régionale de santé (ARS), la Métropole de Lyon et les Hospices Civils de Lyon, l'unité d'accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED) a été inaugurée, mardi 19 décembre, au sein de l’hôpital Femme Mère Enfant.