Une journée avec l’hélicoptère du Samu 69

C’est une médecine physique, palpitante, aux résultats immédiats, prête à décoller à tout moment et souvent confrontée à l’imprévisible. Bienvenue dans l’équipe des soins héliportés qui fête cette année 2024 ses cinquante ans.

En cette matinée estivale, sous un ciel sans nuage, la voiture a terminé sa course dans le champ qui domine la vallée en contrebas. Un peu plus haut, les arbres gardent encore dans l’ombre la moitié du terrain. Aux chants des oiseaux se mêlent désormais les bips sonores du scope des urgentistes. La passagère du véhicule gît inconsciente dans l’herbe. Le médecin des sapeurs-pompiers du Rhône incise sous le sein gauche pour laisser sortir l’air prisonnier de la cage thoracique. Le conducteur, assis, est pris en charge un peu plus loin par l’équipe du Samu 69.

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L'équipe du Samu 69 prête main forte aux sapeurs-pompiers arrivés les premiers sur le lieu de l'accident.

 

Les véhicules de secours des sapeurs-pompiers et l’hélicoptère de la sécurité civile sont arrivés les premiers. Une deuxième prise en charge héliportée s’est avérée nécessaire. L’hélicoptère du Samu 69, un Airbus 145 D3, s’est posé à quelques centaines de mètres, pour préserver les personnes déjà présentes sur les lieux.

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Céline Chillet administre les premiers traitements ; le Dr David Schiavo épaule sa consœur des sapeurs-pompiers.

 

« Bonjour monsieur, je m’appelle Céline. Je suis l’infirmière. Pouvez-vous me dire où vous avez mal, que l’on puisse vous soulager ? », questionne Céline Chillet, infirmière du Samu depuis 2011. Sa voix, son sourire, ses premiers soins apaisent, réconfortent. Elle rassure tout en commençant la prise en charge : pose d’une voie veineuse, administration des premiers traitements, surveillance de la perfusion, de l’état général de la victime et des signes vitaux, pour adapter les soins en conséquence.

De son côté, le Dr David Schiavo, urgentiste du Samu 69, évalue la gravité et assure le bilan lésionnel de l’accidenté, avec échographie et examen clinique complet. Puis il va prêter main forte à la docteure des sapeurs-pompiers confrontée à une victime plus gravement atteinte qu’il convient de temporiser.

Il est 10h30 quand l’hélicoptère du Samu 69 décolle, un peu plus d’une demi-heure après s’être posé à Thizy-les-Bourgs, direction l’hôpital Édouard Herriot, avec à son bord le premier patient de la journée. Pendant le vol, le docteur Schiavo remplit le dossier médical du patient sur sa tablette, dès lors accessible aux équipes hospitalières… L’infirmière surveille le patient qui continue à ressentir une douleur au thorax. Elle administre une nouvelle dose de morphine.

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Les soins continuent dans l'hélicoptère. Céline, l'infirmière, prépare une dose de morphine. Le docteur Schiavo remplit le dossier médical du patient sur sa tablette connectée, accessible aux équipes hospitalières

 

Moins de vingt minutes plus tard, l’hélicoptère se pose au sommet du pavillon H.

Le patient est conduit en salle de déchocage à la demande du médecin du Samu. Florent Urban, l’assistant de vol, pousse le brancard dans l’ascenseur. Il fait le trait d’union entre le pilote de l’hélicoptère et l’équipe soignante. Chargé d’assister le pilote dans la préparation et l’exécution du vol, ce navigant n’est pas de trop pour soutenir le binôme soignant. Au déchocage, médecins, internes et paramédicaux écoutent le compte-rendu de l’urgentiste.

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En salle de déchocage à l'hôpital Edouard Herriot.

 

Après les quelques minutes de cette relève indispensable pour la suite de la prise en charge, l’équipe du Samu s’éclipse aussi vite qu’elle est arrivée.

Sur le toit, Gregory Carteron, le pilote, démarre le rotor. C’est le moment de rentrer à l’aéroport de Bron. Durée du vol : deux minutes.

Pilote chevronné, comme tous ses collègues de l’aéronautique ayant choisi de travailler dans le soin héliporté, il compte au moins 2 500 heures de vol et huit années d’expérience. Des accidents sur la voie publique (AVP), il en a vu, dont certains restés gravés dans sa mémoire. « Il y a trois ans, sur l’A7. Un véhicule prend feu avec à son bord trois adultes et six enfants. Seulement trois d’entre eux et un adulte ont pu en sortir. Quatre hélicos mobilisés, une intervention difficile pour l’équipe médicale et le TCM (technical crew member ou assistant de vol en français, NDLR) qui effectuait sa première mission. Une épreuve marquante par la gravité des faits et leurs conséquences ainsi que par l’ampleur des moyens déployés. » Quand soudain, la vie bascule, ils interviennent. « Chaque intervention est une découverte et nous couvrons tout l’éventail de la médecine », retient le Dr David Schiavo.

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Décollage depuis l'hôpital Edouard Herriot

Soudain, le temps s’accélère

L’équipe a maintenant rejoint la base : un hangar au bord du tarmac ; au rez-de-chaussée, un magasin où sont entreposés les consommables du soin, à l’étage des bureaux en enfilade jouxtent une grande salle faisant office de cuisine et de salon de repos, avec frigo, lave-vaisselle, serveurs informatiques et imprimante, entre autres… Il est à peine midi, la table pour le déjeuner est dressée. Au menu, barquette de l’Unité centrale de production alimentaire des HCL et autres victuailles apportées par les uns et les autres. Puis c’est l’attente. Le temps non clinique est dédié aux commandes, aux tâches administratives, au réapprovisionnement nécessaire en matériel de soin (biologie déportée, scope, respirateur, aérosols, médicaments, etc.) et à la remise à niveau du réservoir en kérosène de l’hélicoptère après chaque intervention. Après le café, le pilote part se reposer dans son bureau où un lit deux places occupe une bonne partie de l’espace. On en profite pour lire ses mails, consulter son portable, discuter dans une ambiance détendue.

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Deuxième mission de la journée et nouvel accident sur la voie publique.

 

15h04, deuxième mission de la journée et nouvel accident sur la voie publique. Le pilote prend la direction de Châtillon-d’Azergues, à moins de trente kilomètres de Lyon. C’est lui que la régulation médicale appelle en premier pour connaître la faisabilité du vol, puis le médecin est appelé à son tour pour être informé des détails de l’intervention.

« Attention aux lignes électriques », met en garde Florent en arrivant sur le site d’atterrissage, vigilant à toute éventuelle collision durant le vol. Les sapeurs-pompiers sont à l’œuvre. La chaleur écrasante de l’après-midi fait suer les corps dans leurs vêtements de protection. La passagère, qui s’exprime clairement, est emmenée à l’hôpital de Villefranche avec des douleurs cervicales. Mais l’état du conducteur, coincé dans le véhicule retourné dans le fossé, nécessite davantage de moyens humains et médicaux. La jeune infirmière bénévole des sapeurs-pompiers passe le relais à sa consœur du Samu qui vérifie immédiatement que les voies respiratoires sont dégagées. « La victime ne parle pas, le regard est vide, seuls les bras bougent. Ses lèvres sont cyanosées. » À genoux sur l’asphalte brûlant de la départementale, elle constate que la ceinture de sécurité compresse une carotide et la trachée. Le lien est coupé mais il faudra encore une heure pour désincarcérer la victime prisonnière de son piège de métal.

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 La jeune infirmière bénévole des sapeurs-pompiers passe le relais à sa consœur du Samu 69.

 

Une extraction anormalement longue, rendue difficile par le contexte de l’accident et les conditions d’intervention. Dans le véhicule de secours des sapeurs-pompiers, l’infirmière et le médecin du Samu, en présence de Florent, réalisent maintenant un check-up complet : échographie, palpation, analyse sanguine, etc. La chaleur, intense à l’intérieur du véhicule sanitaire, ne les distrait à aucun moment de leur mission. Après une demi-heure, l’urgentiste appelle la régulation pour communiquer le bilan médical et connaître le service hospitalier disponible pour la suite de la prise en charge.

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 Céline Chillet rassure le patient en état de choc.

 

Il est 16h48, l’hélicoptère, patient à bord, vole dix minutes avant de se poser sur l’hélistation de l’hôpital Lyon Sud. Dans le service d’urgence, Sandrine, infirmière, s’enquiert de l’âge du patient et des détails de l’intervention auprès de sa collègue du Samu.

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Arrivée dans le service des urgences de l’hôpital Lyon Sud.

 

RAS au niveau de l’électrocardiogramme. La mission aura nécessité deux poches de sérum physiologique, deux voies veineuses périphériques et plusieurs contrôles sanguins pour vérifier le taux d’hémoglobine, mais aucun antalgique.

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Retour à l’aéroport de Bron.

La vérité de l’instant

Que l’on soit professionnel du vol en hélicoptère ou du soin, garder à distance la réalité parfois tragique des situations rencontrées est le meilleur moyen de garantir la sécurité du patient et l’efficacité du soin. « Il faut aussi savoir refuser l’intervention quand cette dernière n’est pas possible, ce qui peut être une décision difficile à prendre », souligne Greg, le pilote. « Voler dans les nuages est interdit au Samu 69, un vent turbulent pose des difficultés de vol. Et le rotor de notre hélicoptère ne permet pas un décollage avec un vent dépassant les 50 nœuds (90 km/h, NDLR). » Un bon pilote doit avoir une lecture fine de la météo, savoir prendre des décisions rapidement. « Rien n’est programmé. Le vol est à la demande, c’est pourquoi nous nous tenons informés des évolutions des conditions météorologiques tout au long de la journée. »

Avec une vitesse pouvant atteindre les 230 km/h et une autonomie de près de deux heures, l’hélicoptère du Samu 69 assure des missions jusqu’à Dijon, Aubenas et Thonon-les-Bains et parfois même jusqu’à Paris. La rapidité des interventions sauve des vies, augmente les chances de survie, réduit les risques de dégradation des patients comme les coûts d’interventions médicales terrestres, palliant l’absence de services médicaux d’urgence et de réanimation dans certaines zones géographiques. Pour les équipes soignantes affectées à la journée, chaque mission réserve son lot d’imprévus. « Une femme accouchant sur son canapé, un homme défenestré, un couple accidenté… aucune mission ne se ressemble. La plupart du temps, le patient ne se souvient pas des équipes du Samu qui interviennent au plus tôt, à un moment où il est souvent en état de choc. Mais à chaque fois, il faut savoir se mettre à sa place pour rendre le soin le plus confortable et rassurant possible », confie, en cette fin de journée, Céline, dans un sourire, incarnant avec le reste de l’équipe présente ce jour-là à l’aéroport, cette médecine tout terrain, déterminée et salvatrice.

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Céline Chillet, infirmière, David Schiavo, urgentiste, Florent Urban, assistant de vol, et Grégory Carteron, pilote, sur le tarmac de l'aéroport de Bron.

 

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Les hélicos du Samu 69 ont deux missions : les transferts interhospitaliers et les secours primaires. Pour ces derniers, priorité est donnée sur décision préfectorale à l’hélicoptère de la sécurité civile. À son bord alternent les équipes médicales du Samu 69 avec celles des sapeurs-pompiers, une semaine sur deux. L’hiver, le Samu fait voler un seul hélicoptère de 7h à 21h. L’été, une deuxième machine assure une continuité d’intervention jusqu’à 22h. La nuit, seul le Dragon de la sécurité civile est autorisé à sortir. En 2023, le Samu 69 a réalisé 2 660 interventions héliportées.

Reportage paru dans Tonic 199.