Le programme de prise en charge des troubles neurologiques fonctionnels déployé à l’échelle régionale

Encore mal connus et mal diagnostiqués, les troubles neurologiques fonctionnels (TNF) perturbent lourdement le quotidien de nombreux patients. Depuis 2017, les Hospices Civils de Lyon ont lancé le programme PULS-TNF, proposant des thérapies inédites. Lauréat d’un financement national, ce programme se déploie désormais dans toute la région Auvergne-Rhône-Alpes.

« A 25 ans, je n’aurais jamais cru que ma vie bascule comme ça. Je sortais d’un Bac+5, j’avais un CDI, un bon salaire, un bel appartement et puis tout s’est écroulé d’un coup… ». « Il y a eu une vie avant et il y a une nouvelle vie maintenant. Il faut s’adapter, mais cela me contraint de quitter un poste que j’occupais avec plaisir depuis 21 ans. Je n’ai pas le choix, il me faut un poste adapté car au quotidien, c’est un enfer. On parle de troubles, mais on devrait parler de handicap tant il y a de choses que je ne peux plus faire ». Il s’appelle Bastien, elle s’appelle Murielle. Le premier a 25 ans, travaillait dans l’informatique ; la seconde en a 49 et officiait, depuis deux décennies, comme directrice d’école. Il y a un an et demi pour Murielle, six mois pour Bastien, après plusieurs mois d’errance diagnostique, ils ont découvert qu’ils souffraient de troubles neurologiques fonctionnels (TNF).

Une reconnaissance souvent tardive des troubles neurologiques fonctionnels

Encore méconnue et mal détectée, cette pathologie provoque des symptômes - soudains, multiples et différents d’un patient à l’autre - qui s’avèrent particulièrement invalidants. Depuis un burn-out en février 2021, Bastien subit des crises non-épileptiques psychogènes, qui peuvent se révéler très violentes. Dans les moments où la maladie se manifeste, Murielle, elle, peut endurer un sévère mal de tête, une paralysie passagère des membres, des problèmes d’équilibre, de vue ou tout ça à la fois, tandis qu’elle est devenue, de manière constante, hypersensible à la lumière et au bruit, qui l’épuisent très rapidement.

Les troubles neurologiques fonctionnels sont des symptômes qui affectent la motricité volontaire, les fonctions sensitives ou sensorielles. Pathologie longtemps ignorée, souvent stigmatisée, la définition des TNF n’a été adoptée qu’en 2013, au niveau mondial, et demeure, aujourd’hui encore, discutée, ce qui rend son identification complexe. Mais la maladie est bien réelle, avec des symptômes authentiques et involontaires. Ces troubles correspondent à une anomalie de fonctionnement du système nerveux central. Les origines de la maladie sont multifactorielles.

En France, la prévalence est d’environ 5 patients pour 10 000 habitants, mais le Pr SAOUD, chef du service de neuro-psychiatrie estime que « jusqu’à 30 % des patients hospitalisés dans un service de neurologie souffrent de TNF ». Passé l’âge de 50 ans, plus de 60 % des patients ne sont plus en capacité de travailler. Après des années d’attente, les TNF sont, depuis le 1er janvier 2023, officiellement reconnus comme un handicap, permettant aux patients de bénéficier du statut de travailleur handicapé.

PULS-TNF, un programme innovant conçu aux HCL

C’est pour des personnes comme Bastien et Murielle que les HCL, sous l’impulsion du Pr Mohamed SAOUD et du Dr Axelle GHARIB, neuropsychiatres à l’hôpital Pierre Wertheimer, ont lancé, en 2017, le programme PULS-TNF : Programme Universitaire Lyonnais de Soin des Troubles Neurologiques Fonctionnels.

Des troubles multifactoriels et multi-symptômes

« Alors qu’elle est plutôt fréquente, la pathologie demeure mal connue. Pendant longtemps, on a considéré les TNF comme de l’hystérie ou de la simulation. Mais l’essor des nouvelles technologies, avec notamment l’imagerie fonctionnelle, a montré qu’il s’agissait bien d’une maladie active et elle est répertoriée comme telle, depuis dix ans, dans la classification internationale des maladies (CIM). Malgré cela, beaucoup de professionnels ne la connaissent pas et ne peuvent donc pas la prendre en charge », décrit le Pr Mohamed SAOUD, chef du service de neuro-psychiatrie de l’hôpital Pierre Wertheimer.

Parce que les troubles neurologiques fonctionnels ont longtemps été ignorés, qu’ils sont multifactoriels et multi-symptômes, il existe encore peu de prises en charge dédiées. Conçu par le Pr Mohamed SAOUD et le Dr Axelle GHARIB, le programme PULS-TNF des HCL a constitué, dès 2017, une réelle avancée. Reposant sur la multidisciplinarité, il s’articule autour de cinq grandes thématiques de soin : le diagnostic, un suivi neurologique et psychiatrique, une psycho-éducation, de la rééducation (kinésithérapie, orthophonie…) et de la psychothérapie.

L’annonce du diagnostic : un acte thérapeutique en soi

Illustration de cette situation, Bastien est demeuré un an et demi sans connaître le mal qui le rongeait. Après sa première crise survenue en février 2021, il a dû attendre de séjourner à l’hôpital Pierre Wertheimer, à l’été 2022, pour que lui soit diagnostiqué un TNF. « Pendant longtemps, cela a été un véritable cauchemar, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Mes proches s’interrogeaient et moi je ne pouvais rien leur répondre car je ne savais pas ce que j’avais, raconte-t-il. Quand le diagnostic est tombé, quand on m’a donné le papier dans les mains, je me suis effondré de joie.  J’avais ma mère au téléphone, je pleurais. J’étais tellement content de ne pas être pris pour un fou, d’avoir enfin un justificatif à donner ».

Particulièrement cruciale, l’annonce du diagnostic fait désormais l’objet d’un module à part entière dans le programme PULS-TNF élargi à la région AURA, constituant elle-même un acte thérapeutique. C’est en priorité au dépistage et à cette "annonce du diagnostic" que le programme a pour ambition de former un maximum de professionnels du territoire. A cela, s’ajoute un troisième volet : un programme psycho-éducatif destiné aux proches du patient pour lutter contre la stigmatisation et leur faire accepter, à eux aussi, cette maladie, « en leur expliquant, comme aime à comparer le Pr SAOUD, que ce n’est pas le disque dur qui est endommagé, mais simplement un logiciel qui est défaillant ».

Si chaque patient est suivi, a minima, par un neuropsychiatre et un psychologue, la particularité de ce programme réside dans l’individualisation du parcours, avec un traitement "à la carte" en fonction des situations, qui peuvent s’avérer très différentes d’un patient à l’autre.

La "thérapie miroir" pour tromper le cerveau

Une autre particularité se situe dans la collaboration nouée entre le service de neuro-psychiatrie de l’hôpital Pierre Wertheimer et le service de médecine physique et de réadaptation neurologique du Pr Jacques LUAUTE, à l’hôpital Henry Gabrielle.

Ensemble, ils expérimentent, depuis plusieurs mois, la "thérapie miroir". Ces exercices de kiné active visent, chez les patients TNF souffrants d’hémiplégie passagère ou permanente, à "tromper le cerveau".  « Nous les mettons face à un miroir et au lieu de présenter le membre déficient, par exemple le bras gauche, il présente le membre non-touché, le bras droit. Ils ont alors l’impression, face au miroir, de voir leur "mauvais" membre bouger », décrit le Pr SAOUD.

Cette "thérapie miroir" pourrait être complétée, prochainement, par un dispositif de réalité virtuelle permettant de solliciter également les membres inférieurs. Des discussions sont en cours avec une société capable de développer cette technologie.

Accompagner la reprise et/ou le maintien de l’activité professionnelle des patients

Fort d’une collaboration fructueuse avec le service de médecine du travail des HCL, le programme a intégré récemment un accompagnement permettant de faciliter la reprise et/ou le maintien de l’activité professionnelle.
Après six mois d’arrêt maladie, Bastien s’apprête ainsi à reprendre le travail, fin février, avec un rythme allégé et un traitement médico-psychologique qui pourraient lui permettre de contrôler ses crises. Même si elle va devoir quitter, à regrets, son poste actuel, Murielle a, pour sa part, fini par accepter sa maladie et un nouvel emploi à mi-temps dans l’Education Nationale, à la prochaine rentrée, bien décidée à avancer et à vivre du mieux possible avec ses troubles neurologiques fonctionnels.

Former les professionnels de la région AURA au dépistage des "patients TNF"

A l’heure actuelle, après six mois de déploiement de PULS-TNF hors les murs des HCL, une cinquantaine de soignants de la région AURA ont déjà été formés au dépistage des "patients TNF". L’objectif est de réussir à faire sensiblement progresser ce nombre d’ici la fin du financement FIOP, en 2024, en touchant, en particulier, les professionnels de ville (médecins, mais aussi psychologues et kinésithérapeutes), afin qu’ils puissent détecter et orienter leur patientèle vers les filières compétentes. En parallèle, l’équipe du Pr SAOUD continue de développer le programme de prise en charge au sein des trois autres CHU régionaux, ainsi que du Medipôle (Villeurbanne) et du centre bipol-AIR (Lyon 7e) : « L’idée c’est que la patient, où qu’il aille en Auvergne-Rhône-Alpes, soit traité de la même manière ».

Grâce à l’instauration de ce réseau régional, articulant une communauté de soignants de la médecine de ville jusqu’aux CHU pour détecter, adresser et soigner, le nombre de patients pris en charge en Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre du programme PULS-TNF devrait passer de 400 (suivis aux seuls HCL, jusqu’ici) à près de 1 500, dans les deux ans qui viennent.

Avec, pour eux, comme pour Bastien et Murielle, toujours suivis à l’hôpital Pierre Wertheimer, l’espoir de retrouver un quotidien proche de la normale.

Dernière mise à jour le : mer 24/01/2024 - 11:15
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Équipe de neuro-psychiatrie de l'hôpital Pierre Wertheimer
Équipe de neuro-psychiatrie de l'hôpital Pierre Wertheimer

 

Particulièrement innovant, ce programme a bénéficié, fin 2021, d'un financement national de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) dans le cadre d’un appel à projets lié au fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie (FIOP).
Avec une enveloppe de 350 000 € sur trois ans (2022-2024), l’objectif est de développer PULS-TNF dans l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à travers un partenariat entre les HCL et les trois autres CHU du territoire, Grenoble, Saint-Etienne et Clermont-Fd. Lancée en septembre dernier, cette collaboration entre pleinement dans sa phase opérationnelle en ce début d’année 2023, avec une priorité : former, sur tout le territoire, un maximum de professionnels pouvant prendre en charge les patients souffrant de TNF.