Une téléconsultation dédiée aux consommateurs de protoxyde d’azote

L’usage récréatif de protoxyde d’azote a explosé en France ces dernières années particulièrement chez les moins de 25 ans. Potentiellement addictif, il peut s’avérer particulièrement dangereux et provoquer des dégâts irréversibles sur le système nerveux. Les HCL proposent le premier dispositif de téléconsultation en France pour mieux dépister les consommateurs abusifs.

Encore marginal il y a cinq ans, l’usage récréatif de protoxyde d’azote - le fameux gaz hilarant inhalé le plus souvent par le biais de ballons de baudruche - explose en France, particulièrement chez les moins de 25 ans.

Alors que les cas d’hospitalisation se multiplient aux HCL avec plus d’une trentaine de patients hospitalisés à l’hôpital Pierre Wertheimer depuis le début de l’année 2024, une téléconsultation spécialement dédiée aux consommateurs de protoxyde d’azote voit le jour.

La téléconsultation, un canal plus attractif pour un jeune usager et son entourage

« Parce que la vente est légale et l’effet hilarant éphémère, les usagers pensent que le "proto" est inoffensif. Or, non seulement ce produit a une composante addictive - on a constaté qu’il activait les récepteurs "du plaisir", créant une dépendance affective - mais il a également un effet neurotoxique :  à doses abusives, il peut entraîner des lésions neurologiques graves et irréversibles, avec une paralysie des membres. Le souci, c’est que les premiers symptômes, souvent des fourmillements dans les bras ou les jambes, sont perçus comme légers. Beaucoup de personnes atteintes, la plupart très jeunes, ne font pas attention ou pensent que ce n’est rien. Et quand elles arrivent à nous, il est souvent trop tard. Avec la téléconsultation, notre but, c’est de cibler les consommateurs au stade infraclinique », décrit le Dr Christophe RIOU.

Autre problématique : même quand un usage abusif est détecté, l’entrée dans le soin n’est pas garantie. Beaucoup de patients estiment qu’ils n’ont pas besoin d’être accompagnés, tandis que certains professionnels de santé ou du secteur social connaissent encore mal le sujet du "proto". Se sentant démunis, ils ont souvent tendance à renvoyer vers les services d’urgence, sans que le volet addictologique ne soit forcément pris en compte. « C’est pour cela que nous avons opté pour de la téléconsultation : c’est plus attractif pour le patient, qui peut rester chez lui, et cela peut aussi permettre à son entourage de nous joindre facilement. La télé-expertise de seconde ligne rejoint le même principe, avec des professionnels de santé qui peuvent nous contacter en ligne, pour discuter et nous transmettre le dossier d’un patient, peu importe où ils se trouvent », souligne le médecin.

« Le meilleur moyen d’éviter des dommages sérieux reste de stopper la consommation »

Un jeune homme de 22 ans contraint de marcher avec des béquilles, un autre, âgé de 16 ans, atteint de troubles neurologiques sévères, une adolescente tellement accro au protoxyde d’azote qu’elle en consomme pendant son séjour en soins de suite et de réadaptation… « Le gaz hilarant ne fait plus rire du tout », comme le résume le Dr Christophe RIOU. Addictologue aux HCL, membre du SUAL (Service universitaire d'addictologie de Lyon).

Si la télé-expertise est d’ores et déjà accessible en continu pour les professionnels, via la messagerie sécurisée de santé MonSisra, la téléconsultation sera proposée au grand public, pour commencer, sur quatre créneaux de rendez-vous, chaque mardi après-midi [lire encadré]. Au cours des 30 minutes imparties, le Dr RIOU tentera d’évaluer les habitudes de consommation de protoxyde d’azote de son interlocuteur ou du proche concerné. S’il identifie un usage problématique, avec ou sans signes cliniques, il pourra alors proposer à l’intéressé(e) une consultation en présentiel, à l’hôpital Pierre Wertheimer. « A ce moment-là, la priorité sera d’évaluer, via une prise de sang et un examen approfondi, des signes prédictifs de complications graves », précise l’addictologue.

En fonction de plusieurs critères, biologiques (taux de vitamine B12 dégradé par le protoxyde d’azote) ou neurologiques (via un électromyogramme notamment), plusieurs actions de soins pourront alors être envisagées en accord avec le patient : traitement médicamenteux, suivi régulier, hospitalisation à l’hôpital Pierre Wertheimer… « Même si le protoxyde d’azote n’a pas de traitement substitutif, il existe des solutions pour traiter les symptômes de manque. Mais le meilleur moyen d’éviter des dommages sérieux reste de stopper la consommation. Les pathologies liées au "proto" représentent une charge de santé à risque de séquelles permanentes, surtout avec des patients jeunes, alors que l’usage abusif est quelque chose de tout à fait évitable, en tout cas que l’on peut accompagner. Il est primordial d’en faire prendre conscience aux consommateurs, et le plus tôt possible », conclut le Dr Christophe RIOU.

Une consommation devenue problématique

D’un seul appel pour un motif sanitaire lié au protoxyde d’azote, en 2017, le centre antipoison de Lyon est passé à 80 en 2022. « Depuis 2019, le nombre de dossiers traités a été multiplié par 20 », confirme le Dr Alexandra BOUCHER, pharmacienne responsable du centre d’addictovigilance des HCL, qui travaille en lien direct avec le centre antipoison. Au niveau national, l’alerte est identique, avec des cas cliniques imputés au "proto" qui ont décuplé sur les cinq dernières années, d’après l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament). « Et on ne parle ici que des cas cliniques, qui, de surcroît, sont loin d’être tous recensés. C’est la partie émergée de l’iceberg. Nous savons que la consommation, elle, s’avère largement plus importante », s’inquiète le Dr BOUCHER.

L’usage récréatif du gaz N2O n’est pourtant pas nouveau. Sa propriété hilarante était déjà connue et détournée au XIXe siècle. Mais les consommateurs demeuraient marginaux. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. D’après une étude de Santé Publique France, en 2022, 4,3 % des Français avaient déjà consommé du protoxyde d’azote dans leur vie. Chez les jeunes, c’était trois fois plus : 13,7 % des 18-24 ans l’avaient déjà expérimenté et 3,2 % d’entre eux avouaient en avoir inhalé dans l’année. D’après les statistiques, la consommation a particulièrement bondi lors de la pandémie de Covid. « Les confinements ont probablement eu un impact, mais il est difficile d’établir un lien formel », confie Alexandra BOUCHER.

Longtemps vendu librement, sous forme de cartouches ou de bonbonnes, car il possède un usage alimentaire courant (notamment pour les siphons à chantilly), le N2O est également facile à consommer, via le remplissage de simples ballons de baudruche - même si des usagers peu avertis l’inhalent parfois directement, ce qui peut provoquer de dangereuses lésions cutanées et muqueuses, voire des syncopes hypoxiques. Parce qu’il est aussi utilisé dans le domaine médical, le gaz hilarant a longtemps bénéficié, en outre, d’une réputation d’innocuité, totalement infondée.

De fait, malgré plusieurs campagnes de prévention nationales comme régionales, sa consommation ne semble pas se tarir. Même si la législation vise une régulation de son usage (interdiction de vente aux mineurs en 2021, limitation d’achat à 10 cartouches en 1 fois, rendant illégale la vente de grosses bonbonnes, en 2024), un véritable marché continue de se développer, avec des produits marketés à destination des jeunes usagers. « Nous sommes sur un vrai sujet de santé publique, avec des risques importants en cas d’usage addictif. Outre les cas cliniques de jeunes patients qui ne peuvent plus marcher, car le système nerveux est endommagé, des cas de décès liés au protoxyde d’azote ont été rapportés. Et, même sans aller jusque-là, dans quel état sera un consommateur actuel dans vingt ans ? Il y a de quoi être inquiet », s’alarme le Dr Christophe RIOU.

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Homme en téléconsultation sur sa tablette
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Téléconsultation "protoxyde d’azote"
4 créneaux de 30 minutes ouverts tous les mardis de 15h30 à 17h30.
Prise de RDV sur la page du service universitaire d'addictologie de Lyon SUAL