Psychothérapie de groupe : chasser les fantômes du passé

Depuis mars 2023, au centre régional du psychotraumatisme, les professionnels de santé traitent des migrants ayant vécu des événements traumatisants qui, en dépit de la distance tant dans le temps que dans l’espace, continuent à resurgir du passé pour hanter le présent.

« Je fais des cauchemars, je dors mal. Je ne veux pas sortir le matin parce que j’ai peur de voir du monde » ; « Si quelqu’un arrive derrière moi, je sursaute, je réagis très fort » ; « Je suis irritable et détachée de ma famille et de ce qui m’entoure » ; « Les images arrivent et je tremble. »

Ils ont fui les conflits, la persécution, la violence ou la misère, souvent au péril de leur vie, et souffrent de troubles de stress post-traumatique. Les symptômes sont nombreux : cauchemars, état dépressif, hypervigilance, détachement et sentiment d’observation de soi, stratégie d’évitement du traumatisme, crises d’anxiété, irritabilité, insomnies, dissociation, etc. La souffrance physique et morale impacte tous les aspects de la vie personnelle, sociale et familiale.

Pour soulager ces symptômes aux multiples retentissements, le centre régional du psychotraumatisme, à l’hôpital Édouard Herriot, a mis en place depuis 2023 des thérapies de groupe utilisant l’EMDR G-TEP(1), une psychothérapie de désensibilisation et de retraitement par mouvements oculaires adaptée aux groupes.

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Clémence Butet, psychologue, soutient sa patiente par la parole et le geste. Au fond, Fatou Dieng, médiatrice en santé.

Faire alliance avec le patient

« On ne sait pas encore exactement pourquoi mais il a été montré qu’en suivant des yeux votre main, ça diminue les effets du traumatisme auquel vous pensez », explique simplement Germain Salomé, psychiatre, dès la première séance (2), pour être compris de tous.

Durant les premières séances, la charge émotionnelle est au plus haut car le patient, invité à se replonger brièvement dans l’événement traumatique, se concentre sur ses sensations, émotions et pensées négatives. Bien que l’événement traumatisant ne soit pas raconté mais dessiné ou symbolisé, et que seules les souffrances qu’il occasionne soient verbalisées, professionnels de santé et bénévoles restent attentifs aux moindres réactions des uns et des autres, évoquant l’importance de « l’alliance thérapeutique avec le patient ».

Certains résistent, d’autres semblent supporter, chacun revivant les souvenirs avec plus ou moins de difficultés. B., originaire du Nigeria, voit ses larmes déborder quand on lui demande de visualiser l’événement traumatique. A., quant à elle, en provenance de la République démocratique du Congo, vit pendant quelques minutes un épisode de dissociation. « Lorsque l'exposition conduit à un tel paroxysme émotionnel, il faut être très vigilant pour que la thérapie ne devienne pas contre-productive », commente Germain Salomé. L., camerounais, revit son passage de la frontière avec un certain détachement, « dans un état d’hypovigilance », traduit Clémence Butet, psychologue.

Remise en question et citrons givrés

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Marie Gautheron, psychologue au CRP

Ici, l’humain dans son entièreté est sollicité. Alors, quand il s’agit de traiter avec les failles causées par des événements traumatiques, la prise en charge doit être réfléchie, attentive et respectueuse. Après chaque séance, on débriefe. L’écoute, la remise en question et les échanges permettent d’ajuster la qualité du soin. À la suite d’une séance éprouvante, où étaient présents, outre Clémence Butet et Germain Salomé, Marie Gautheron, psychologue, et Fatou Dieng, médiatrice en santé, l’équipe a suggéré d’avoir à disposition « une trousse de secours » qui permettrait au patient de se recentrer, de se réancrer dans son corps à l’aide de citrons givrés, de tabasco ou d’huiles essentielles.

Toujours dans le but de réguler les émotions, l’équipe peut convoquer des figures protectrices et rassurantes, – selon les personnalités des participants, le footballeur Cristiano Ronaldo, le musicien Lucky Dube, et même Nelson Mandela, etc., sont sollicités –, ou faire tourner des flacons d’huile essentielle de bergamote, de camphre ou de citron... On fait aussi appel à des outils de régulation émotionnelle comme la cohérence cardiaque, la visualisation positive, les techniques d’ancrage, « nécessaires au moment de la confrontation avec le traumatisme », indique Clémence Butet. À chaque fin de séance est proposé un jeu collectif : un moment de détente, de transition entre le travail thérapeutique et le retour à la vie présente, le moyen de restaurer un climat de confiance et d’évacuer la tension.

« C’est juste ton cerveau qui fait ça »

À mi-chemin de cette session de mars, le regard de A. se perd à nouveau dans le passé et peine à se raccrocher au présent. Pour l’aider à ne pas perdre pied, Clémence Butet et Emma, étudiante en psychologie et bénévole, l’entourent en prenant soin de la réancrer dans le présent.

« Depuis que j’ai commencé les séances, tout le passé ressurgit. J’ai l’impression d’avoir reculé, parce que je m’occupais beaucoup pour ne pas laisser les pensées venir », confie la jeune migrante.

« Ici, vous regardez le traumatisme dans les yeux jusqu’à ce qu’il n’ait plus la force de vous faire du mal. Vous êtes très courageux. Je vous félicite de l’affronter », soutient le psychiatre qui, à chaque séance, multiplie les encouragements.

D’une voix calme et assurée, quand les patients suivent leur main des yeux en se confrontant aux émotions négatives du retentissement traumatique, il répète : « Vous pouvez avoir confiance en vous. C’est possible. Vous êtes forts. C’est arrivé, c’est fini… Bravo à tous. C’est du très bon travail. » De son côté, chaque membre de l’équipe accompagne individuellement une ou un participant. Ce soutien supplémentaire permet une vigilance au plus près de la personne en travail. « C’est juste ton cerveau qui fait ça », tente de rassurer Clémence Butet face à l’agitation de sa patiente.

Vers un avenir apaisé ?

À l’issue de chaque « set », chacun doit évaluer son état émotionnel sur une échelle de un à dix, du moins au plus négatif. Séance après séance, les notes baissent, marquant une progression gratifiante pour tous. À la septième séance, l’exposition aux souvenirs perturbateurs est vécue d’une manière plus sereine. A. n’a pas tremblé. J., qui participe pour la deuxième fois, fait preuve d’un calme prometteur. O., toujours souriant, partage un ressenti plein d’optimisme. De huit à neuf à la première séance, à trois ou quatre à la dernière, l’évaluation de leur état émotionnel marque de réels progrès. « Bravo à tous », félicite le docteur Salomé, et d’affirmer :

« Dans les semaines à venir, vous aurez peut-être des images qui reviennent, mais votre cerveau trouvera des solutions pour que le score baisse encore. »

La méthode semble adaptée aux participants en quête d’apaisement. Des études mettent en avant une augmentation du bien-être psychologique et, surtout, une diminution des réactions psychologiques et somatiques telles que l’anxiété et les symptômes dépressifs. Trois semaines après la dernière séance de psychothérapie, le groupe se reconstitue une dernière fois. Les mêmes questionnaires remplis avant le traitement sont à nouveau présentés aux participants. De quoi évaluer l’état de stress post-traumatique après traitement et rendre compte de son niveau d’amélioration.

« Je peux dormir sept heures, avant je ne dormais pas », confie J. « J’ai pris conscience que les gens me faisaient peur alors que, non, ils sont gentils ; au contraire, ils viennent m’aider. J’ai confiance en moi et en les autres », partage A. « Je n’arrive pas à faire confiance. Les gens avec qui je parle, ils voient que je n’ai pas confiance, que quelque chose ne va pas », déclare O. Le docteur Salomé conclura en proposant à tous une consultation individuelle.

« Avec le syndrome de stress post-traumatique, on parle bien de guérison », affirme le psychiatre. « La précarité, des moments difficiles peuvent réactiver le syndrome, mais avec le temps et le soin, les effets les plus délétères disparaissent définitivement. »


1 EMDR pour eye movement desensitization and reprocessing, en français : désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires, psychothérapie créée en 1987 par la psychologue américaine Francine Shapiro. G-TEP pour traumatic episod protocol, en français : protocole d’épisode traumatique adapté aux groupes.

2 Soit une session de sept séances, une fois par semaine pendant deux heures, rassemblant cinq ou six personnes en moyenne. En

amont, chaque participant a été vu au moins deux fois en consultation individuelle.

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Le Centre Régional du Psychotraumatisme Auvergne-Rhône-Alpes (CRP) est un dispositif visant à faciliter la prise en charge des personnes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique.