« J’ai accepté, je me suis battue et c’est une autre vie qui commence », Abigaelle, patiente des HCL
France, août 2022. La jeune femme qui pose le pied sur le sol français pour la première fois de sa vie n’est pas dans son état normal. Dans son regard ne se lisent ni joie ni peine. Elle a vécu ses dernières semaines à demi consciente de ce qui l’entoure, se laissant guider pour tous les gestes de la vie quotidienne. Elle est comme anesthésiée, indifférente au monde.

Ses deux petits-frères et sa petite-sœur sont avec elle. Ils sont accompagnés par un prêtre de l’association catholique grâce à laquelle ils ont pu échapper aux persécutions. La fratrie est hébergée provisoirement, à Paris, dans une famille d’accueil. « J’ai perdu la parole. Je ne quitte pas la chambre de toute la journée. » Un mois plus tard, les enfants retrouvent leur mère, arrivée elle aussi par avion en provenance de la République démocratique du Congo. « À ce moment-là, quelque chose bouge en moi. Je ressens à nouveau le contact du sol avec mes pieds. » Son père est porté disparu depuis le jour où des hommes sont venus le chercher à la maison. Elle étudiait à l’époque les sciences de l’environnement à l’université de Kinshasa.
En octobre, la famille est accueillie dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile à proximité de Lyon. « La nuit, je revois mes tortionnaires dans des cauchemars. Un soir, je me réveille en sursaut. Je pleure, je crie très fort, tout mon corps tremble. Je les vois tous dans la chambre autour de moi. Je n’arrive pas à me calmer et nous restons éveillées, maman et moi, jusqu’au matin. » Abigaelle est traversée par des idées suicidaires. Elle est conduite aux urgences psychiatriques de l’hôpital Le Vinatier, à Bron. La psychiatre souhaite l’hospitaliser, Abigaelle refuse. La professionnelle de santé la met alors en contact avec le centre régional du psychotraumatisme Auvergne-Rhône-Alpes (CRP), implanté sur le site de l’hôpital Édouard Herriot. Elle y rencontrera plus tard, « Clémence la psychologue et le docteur Salomé. Ils sont gentils mais je leur cache que j’ai tenté de me suicider. Je ne voulais pas être consolée. Je voulais qu’on me dise : fais-le ! »
Après quelques temps, Abigaelle se voit proposer de suivre une psychothérapie de groupe. « Je ne veux pas. Je n’en vois pas l’utilité. J’ai encore des idées très noires. Les médicaments me neutralisent sans parvenir à me redonner le goût de vivre. » En mars 2024, elle finit pourtant par accepter la thérapie « malgré elle », dit-elle, en précisant : « Il y a une part de moi qui voulait guérir. »
« Il faut être patient et alors vient la résilience »
À la première séance, le stress et l’angoisse assaillent la jeune femme. Les professionnels de santé expliquent comment va se dérouler la psychothérapie : « Je n’étais pas convaincue mais il était important que je comprenne le pourquoi de la thérapie et j’entendais toujours les mauvaises personnes qui parlaient en moi. » La thérapie mise en place au centre régional du psychotraumatisme, à l’hôpital Édouard Herriot, utilise l’EMDR, méthode de désensibilisation et retraitement des souvenirs traumatiques par mouvements oculaires.
« Quand il a fallu se confronter à l’événement pour la première fois, j’ai eu très peur. J’ai pensé à autre chose. Puis, mes yeux ont vu la date du jour du traumatisme et je me suis retrouvée projetée dans cet instant. À ce moment-là, mes émotions et mes pensées d’avant reviennent en force. Sur le chemin du retour, je rate mon arrêt de bus. Je suis inerte. » À la séance suivante, Abigaelle arrive tendue : « Je me suis dit que cette thérapie était une erreur. J’en voulais tellement à Clémence et au docteur Salomé. Mais je m’étais engagée. Cette nouvelle séance a été très difficile. J’ai revu mes agresseurs. Ils étaient là, devant moi. J’étais cernée, je pouvais même les sentir sur moi. » Abigaelle sort à nouveau éprouvée de cette séance. Elle veut arrêter mais décide néanmoins de persévérer. Les séances suivantes, encadrées attentivement par l’équipe, elle lutte et progressivement l’efficacité de la psychothérapie fait son œuvre. « Peu à peu, j’ai pris conscience que mes agresseurs n’étaient pas là. Mes sensations corporelles sorties du passé disparaissaient elles aussi. Les exercices qui consistent à regarder, sentir, toucher les choses autour de moi m’ont beaucoup aidée. J’ai commencé à prendre de la distance avec mes pensées. » Aujourd’hui sur le chemin de la guérison, elle fait le constat suivant : « Il faut être patient et alors vient la résilience. »
Une vie devant soi
Sur les conseils du psychiatre, elle écrit depuis des « choses gentilles sur elle ». Dans sa chambre, elle se souvient des paroles du docteur Salomé et se les répète pour elle-même : « J’ai vécu un traumatisme mais maintenant c’est terminé. » En se livrant, elle porte l’espoir que son témoignage puisse être utile à d’autres. « J’ai été trop dure avec moi-même. Je n’acceptais pas la situation, ce qui m’était arrivé. Quand j’ai accepté, après m’être beaucoup battue, une autre vie a commencé. Je portais un fardeau de honte et de peur qui m’empêchait d’avancer. J’ai compris que ce n’est pas à moi d’avoir honte. »
Abigaelle affiche un sourire lumineux, annonciateur d’un avenir plus serein. Elle souhaite se mettre au service des autres, des personnes âgées et projette de suivre une formation pour devenir aide-soignante. « Je voudrais à mon tour redonner le sourire aux gens, les rendre heureux. »
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