Maladies rares : quand l’exceptionnel motive la prise en charge
« Pour ma deuxième grossesse, j’avais prévu d’accoucher à la clinique de l’Union à Vaulx-en-Velin. Mais à quatre mois de grossesse, l’échographie a détecté une anomalie suffisamment importante pour que l’on me renvoie vers l’hôpital Femme Mère Enfant », relate Loubna. Ce n’est qu’à 33 semaines de grossesse qu’elle a accouché par césarienne de son deuxième enfant, Sarah. Immédiatement, l’enfant a été prise en charge dans le service de néonatalogie et de réanimation néonatale, où elle restera pendant quatre mois.
« Chaque matin, je pensais qu’elle allait partir », se souvient Loubna. « Les médecins la soignaient sans savoir ce qu’elle avait puis après deux mois, ils ont enfin identifié la maladie. On s’est dit alors : voilà, maintenant ils peuvent la traiter. »
Nommer, c’est commencer à apprivoiser l’inconnu. Mais le diagnostic n’est pas systématique dans les maladies rares : près de 50 % des malades demeurent sans réponse précise.
Sarah souffre d’une maladie parmi les plus rares. Les maladies sont dites rares lorsqu’elles touchent une personne sur deux mille. La prévalence de la maladie de Sarah, elle, est estimée à moins d’un cas sur un million. Elle n’a pas de nom mais est identifiée par la mutation génétique qui en est responsable : TTC7A. Elle est caractérisée par une atrésie (ou occlusion) intestinale multiple associée à une immunodéficience et une inflammation de l'intestin. À ce jour, la littérature scientifique a répertorié une cinquantaine de cas dans le monde. « La méconnaissance de la maladie m’a plongée dans un désarroi total », résume pudiquement Loubna. « Le Pr Pierre-Yves Mure (service de chirurgie uro-viscérale, thoracique et de transplantation de l'enfant à l’hôpital Femme Mère Enfant, NDR), le chirurgien qui a opéré Sarah dès ses premiers instants de vie, nous a expliqué la maladie, à mon mari et à moi, à l’aide de schémas. »
Comme Sarah, ils sont plus de trois millions en France, et trente millions en Europe, à être touchés par l’une des sept mille maladies rares actuellement recensées. Et comme Sarah, 75 % des malades sont des enfants. Les équipes de santé sont confrontées à la fois à la rareté d’une maladie plus ou moins grave et à la détresse des parents. « Certains peuvent apparaître d’une grande froideur et sont maladroits, d’autres ont les mots et l’empathie qui rassurent et apaisent », commente la mère de Sarah. « Je me souviens des infirmières et des infirmiers en soins intensifs qui ont été compatissants, à l’écoute, très pros, très doux avec Sarah. Quand je quittais l’hôpital vers minuit chaque jour, j’étais rassurée de la savoir entre de bonnes mains. »
Aujourd’hui Sarah bénéficie d’une hospitalisation à domicile et du soutien de nombreux professionnels. Les périodes de répit alternent avec des complications : « Elle n’est pas stable, tout peut arriver. J’ai peur de la perdre. Je ne me projette pas dans l’avenir. Cela me permet de me protéger », confie sa mère. Comme 95 % des patients atteints d’une maladie rare, Sarah n’a pas de traitement curatif. Néanmoins, elle a pu bénéficier très tôt d’une expertise spécifique. Depuis août 2013, l’enfant est suivie par le Pr Noël Peretti, chef du service de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques, où sont implantés trois centres de référence maladies rares (1).
La force des réseaux
Du fait de la spécificité des maladies rares, l’organisation des soins a dû s’adapter. L’idée est simple : quand l’expertise est rare, il faut mutualiser les connaissances et les compétences. Le CHU de Lyon compte pas moins de 27 centres de référence et 62 centres de compétence. Ils participent à la surveillance épidémiologique de la maladie, à l'animation des recherches et aux essais thérapeutiques, à la diffusion et au suivi des thérapeutiques, ainsi qu'à la mise en place des bonnes pratiques professionnelles. Pour exemple, « La biobanque des HCL, unique en France, concernant les enfants atteints de lupus (environ 500 enfants en France) permet à tout chercheur d’accéder à des données de santé qui feront avancer la recherche », informe le Pr Alexandre Belot, chef de service adjoint à l’hôpital Femme Mère Enfant, coordonnateur de la filière nationale de santé des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares et du centre de référence des maladies auto-immunes chez l’enfant.
Les HCL coordonnent un réseau hospitalo-universitaire qui réunit les CHU de Lyon, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand, Grenoble et le CH de Chambéry, regroupant l’ensemble des expertises de la région.
« L’objectif est d’avoir une meilleure visibilité des parcours patients dans notre région, de mieux faire connaître l’ensemble des expertises existantes sur les maladies rares, à la fois au grand public mais aussi aux professionnels de notre région », informe Ségolène Gaillard, cheffe de projet de la plateforme d’expertise régionale maladies rares Auvergne-Rhône-Alpes.
Et le travail ne manque pas : il faut améliorer la visibilité des centres, les parcours de soin, accroître la coordination entre les centres, renforcer les liens entre les associations, valoriser l’innovation, consolider la recherche et la formation…
Cette organisation en réseaux s’étend à l’échelle européenne. Vingt-quatre réseaux européens de référence (ERN), financés par la commission européenne, réunissent les professionnels de santé des différents États membres de l’Union. La France assure la coordination de sept ERN maladies rares, dont l’ERN Epicare traitant les épilepsies rares. Ce réseau est coordonné aux HCL depuis 2019 par le Pr Alexis Arzimanoglou, chef du service d'épileptologie clinique, des troubles du sommeil et de neurologie fonctionnelle de l'enfant à l’hôpital Femme Mère Enfant.
« La France, via la DGOS, a accordé un soutien supplémentaire de 60 000 euros par an aux coordinateurs français des ERN, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays », relève Laurène Mathey, responsable des affaires européennes à la direction de la recherche en santé. « Les équipes de santé des centres de référence peuvent faire appel à notre service pour constituer leur dossier de candidature à un réseau européen. » L’intérêt ? Pouvoir accéder à une mine d’informations ! L’ERN Epicare, par exemple, ouvre les portes de 43 centres hautement spécialisés dans 24 pays européens. Et autant de possibilités d’échanger entre experts, de développer des recherches innovantes, des outils de formation, des recommandations sur les traitements et de partager des expériences de patients.
Une organisation qui a fait ses preuves
À titre d’exemple, l’amélioration de la prise en charge de la mucoviscidose est particulièrement éloquente. Dans les années 90, les patients adolescents et adultes atteints par la mucoviscidose arrivaient dans les services hospitaliers en détresse respiratoire, chétifs et fatigués. Mais à partir de 2002, la prise en charge a évolué. Le dépistage néonatal est généralisé à l’ensemble du territoire national et les centres de ressources et de compétences sur la mucoviscidose sont créés (2).
« Le dépistage néonatal évite les retards de diagnostic et permet donc de traiter les enfants dès leurs premières semaines de vie. Le suivi dans les centres experts assure la mise en place des traitements qui préservent l’état nutritionnel et respiratoire des patients. Grâce à cette surveillance rapprochée et aux traitements, l’état clinique des enfants et des jeunes adultes a pu être amélioré », explique la Pr Isabelle Durieu, cheffe de service de médecine interne à Lyon Sud, coordinatrice de la filière nationale de la mucoviscidose et responsable du centre de ressources et de compétences depuis 2002.
« Progressivement, cette organisation associée à l’avancée des traitements, dont l’arrivée récente des nouveaux traitements modulateurs de CFTR, a permis d’augmenter l’espérance de vie des patients », constate la Pr Isabelle Durieu pour la mucoviscidose. « Aujourd’hui, nous voyons dans nos services des patients qui ont des enfants, construisent des projets professionnels, voire qui préparent leur retraite. C’est formidable et très gratifiant. »
Une médecine participative
Chaque mois, plus de quinze maladies rares seraient découvertes. Selon l’enquête d’Alliance Maladies Rares, un quart des malades attendent près de quatre ans avant que ne débute la recherche de leur diagnostic. L’enquête montre en outre que l’errance diagnostique est plus longue chez les femmes et les enfants, soit « moins de deux ans pour les hommes adultes et plus de cinq ans pour les filles de 2 à 18 ans. » Pour réduire l’écart, il faut d’abord entendre les patients et appréhender leurs manifestations cliniques comme des symptômes et non comme des plaintes parfois mises sur le compte du stress ou de problèmes psy par des généralistes insuffisamment sensibilisés aux maladies rares.
Pourtant, quand on parle de maladies rares, la médecine participative est souvent évoquée. « Bien souvent, nous sommes confrontés à des symptômes que nous ne comprenons pas », explique le Pr Damien Sanlaville, chef du service de génétique.
« Nous ne connaissons pas les sept mille maladies rares mais nous améliorons nos compétences au contact des patients et nous apprenons ensemble », souligne-t-il.
En effet, qui mieux que le patient connaît la maladie, son traitement et leurs conséquences sur la qualité de vie ? Aux HCL, des recherches sur les maladies rares sont menées avec et par des adolescents et de jeunes adultes. Leur implication se fait « à toutes les étapes de la recherche clinique pédiatrique, de la conception de l’étude à la communication des résultats », précise Ségolène Gaillard, coordinatrice du programme Kids France et cheffe de projet au centre d’investigation clinique des HCL. Actuellement, ils sont douze, âgés de 11 à 19 ans, patients et non malades à faire avancer la recherche dans le cadre de ce programme unique en France.
Au final, la prise en charge des maladies rares bénéficie également aux autres plus fréquentes. « Dans le cas des arthrites juvéniles idiopathiques, nous avons découvert un gène responsable de la maladie, ce qui nous a permis de mieux comprendre des rhumatismes plus fréquents comme la polyarthrite rhumatoïde », illustre le Pr Belot.
(1) Le centre de référence national pour la maladie de Wilson, le centre de référence des maladies digestives rares et le centre de référence de l'atrésie des voies biliaires et cholestases génétiques.
(2) Suite à la circulaire 502 du ministère de l'Emploi et de la Solidarité du 22 octobre 2001.
28 février 2022 : Journée internationale des maladies rares
Les centres de référence de maladies rares des HCL prennent en charge de nombreuses maladies rares ou "orphelines".
Pour lutter contre l'errance diagnostique et l’amélioration des parcours de prise en charge des patients, la plateforme d’expertise régionale maladies rares Auvergne-Rhône-Alpes a été créée regroupant 5 centres hospitaliers et mutualisant ainsi 40 centres de références maladies rares et 201 centres de compétences labellisés.